“Civil War”, photo chargée
Remuant et poétique, “Civil War” d’Alex Garland (se) triture les méninges pour centrer son propos sur la petite histoire au cœur de la grande. Volontairement flou sur son récit, le long-métrage semble parfois manquer de temps, et pâtit de quelques trous dans sa raquette. Pas de quoi en faire un mauvais film, loin de là.
Ça va dans tous les sens. Un peu trop, même. “Civil War”, le dernier long-métrage d’Alex Garland, a des airs d’exutoire. Ou plutôt de mise à l’écran un peu trop condensée de toutes les – plutôt bonnes – idées d’un réalisateur fracassant. Avare en explications quant au contexte dans lequel se déroule le récit (les États-Unis sont en proie à la guerre civile, les Forces de l’Ouest composées du Texas et de la Californie roulent vers la Maison Blanche…), le film en désarçonnera certains. La faute au marketing, qui avait promis une fresque épique d’une des plus grandes craintes étasuniennes : qu’est-ce-qui pourrait motiver plusieurs États à faire sécession ? Aucune réponse n’est apportée, car le propos est ailleurs.
Ne posez aucune question sur la « civil war »
“Civil War” raconte le journalisme, plus précisément le photojournalisme en temps de guerre. Chercher l’esthétique dans des scènes à peine supportables, parvenir à avoir “le” cliché, parfois au péril de sa vie, expliquer la lente déshumanisation de personnes pour qui photographier un homme brûlé vif par des opposants est seulement synonyme de gloire personnelle et de unes des journaux… C’est de tout cela dont il est question. Pas d’un état des lieux géopolitique des États-Unis se déchirant. Pas du tournant réactionnaire qu’a pris la présidence – ce qui vaut, en creux, une critique très fine de Donald Trump et d’autres cadors flirtant avec l’extrême-droite.
Sans aller jusqu’à parler d’un long-métrage psychologique, “Civil War” trahit ses campagnes promotionnelles pour proposer un produit débordant de réflexions. Sans oublier, quand il le faut, d’en mettre plein la vue. Mais une fois ce postulat admis, quelque chose manque tout de même au film. Du temps. Tout, pendant 1 h 49, va très vite, trop vite. Le montage tachycardique nous balançant d’une scène de massacre racial dure à supporter à la beauté époustouflante et silencieuse d’une forêt embrasée à la nuit tombée, heurte la narration. Ce qui est bon l’est vraiment beaucoup, ce qui l’est moins, tout autant. Mais jamais le propos n’est dévoyé.
Pour une poignée de minutes…
Si, dans le jeu, le casting est globalement irréprochable, il souffre d’un développement de personnages pas assez poussé. Le film suit un quatuor de journalistes composé de Lee (Kirsten Dunst) et Joel (Wagner Moura), rodés à l’exercice du reportage de guerre, Sammy (Stephen McKinley Henderson), vieux renard du New York Times lui aussi habitué aux sujets chauds, mais bien moins vif que dans ses jeunes années, et Jessie (Cailee Spaeny), aspirante photojournaliste pleine d’idéaux.
Entre le duo féminin, une relation filiale un peu pataude s’installe, avec son lot de foreshadowing et d’interactions pas idiotes mais trop vite amenées. “Civil War” ne prend pas le temps de percer la psyché de ses personnages, sauf sporadiquement. Pour les deux hommes, le plus jeune est tête-brûlée, sans que l’on sache vraiment trop pourquoi, le plus vieux est plein de sagesse et fort touchant. Bien, un peu cliché.
Alex Garland a bardé son film de messages politiques. La plupart sont fort bien amenés, par des échanges subtils entre les protagonistes. On pense à ce moment où les quatre héros doivent payer leur plein, et où la monnaie forte se trouve être le dollar canadien, puisque l’américain s’est effondré avec la guerre civile. C’est malin, et ça illustre sans forcer la dévaluation d’une monnaie nationale lorsqu’un conflit éclate. Dans l’ensemble, le long-métrage regorge d’idées du genre. Fines et bienvenues. Et certaines scènes, que nous ne révélerons pas, sont vraiment marquantes. S’il avait eu une demi-heure de plus, le réalisateur aurait sûrement proposé un sans-faute. Mais, à Hollywood plus qu’ailleurs, le temps, c’est de l’argent.
Dorian Lacour