Suis-je une femme, suis-je un homme ?
Lui, il a joué à la poupée, elle, elle a joué avec des petites voitures… Mais, lui, plus tard il est tombé amoureux d’elle, et elle, elle s’est retrouvée avec des poupées… et lui avec des petites voitures… Par contre, elle, elle avait le rire de Napoléon et lui, il avait le sourire de la Joconde… On peut considérer comme infinie l’alternance et la similitude entre le féminin et le masculin.
Cis, trans, non-binaire, intersexué, asexuelle, bisexuel, alter sexuel, queer… La notion de genre trouble les représentations stéréotypées de la masculinité et de la féminité. Même des sigles incompréhensibles pour beaucoup – tel LGBTQIA+ – servent d’identifiants sexuels qui finissent par rendre la visualisation du corps peu nécessaire. Dans les jeux vidéo, la figure féminine de la “demoiselle en détresse”, désignation établie par les éditeurs de jeux, est-elle compatible avec les impératifs du langage inclusif ?
Les stéréotypes socioculturels du féminin et du masculin (“les femmes aiment les fringues, les hommes aiment les voitures”) résistent malgré tout à leur délégitimation. Les représentations de la féminité et de la masculinité, pas plus que la grammaire, n’ont de rapport avec le sexe biologique. Même ceux ou celles qui ne parlent aucune langue étrangère savent que le genre des mots change d’une langue à l’autre. Le mot “matin”, par exemple, est masculin en français et féminin en italien, “mattina” ; le mot “minute” est féminin en français et masculin en portugais et en espagnol, “minuto”. Ces faits relèvent de catégories grammaticales qui portent en elles l’arbitraire propre au signe linguistique et n’ont rien à voir avec le sexisme et la condition des femmes.
Cela ne veut pas dire que la langue ne reflète pas les dissymétries entre les hommes et les femmes. La langue reste la scène privilégiée de la lutte de classes et des sexes. Mais il ne faut pas confondre les inégalités structurelles qui participent de l’organisation de nos sociétés avec le fonctionnement des systèmes linguistiques et la “mise en scène” du genre.
Il est clair que personne ne naît en aimant “naturellement” plus le rose que le bleu. Autrefois, on disait d’une fille « elle a l’air d’un garçon » ou d’un garçon « il a l’air d’une fille ». Ce qui faisait d’il ou d’elle un sujet de moquerie. Les origines socioculturelles de nos comportements s’expriment dans un mélange de féminité et de masculinité à tel point que ces deux termes eux-mêmes en deviennent toujours ambivalents quand on les utilise. Sans doute est-ce le charme de la vie des êtres humains, cette réversibilité ininterrompue entre le féminin et le masculin…
Maria Claudia Galera et Henri-Pierre Jeudy