Métier livreur de colis… et de petits instants bien-être
Sans forcément savoir qu’il s’appelle Jonathan Gaschen, les Chaumontais ont repéré ce livreur de colis, à cheval sur un drôle de vélo… Mis les automobilistes grincheux à part, cet « Ovni » de couleur verte fait un travail à part, oui, mais surtout, il distille des petits instants bien-être.
« J’ai toujours travaillé dans le commerce, et j’ai réalisé que les clients demandaient bien souvent des livraisons… ». Jonathan Gaschen garde son constat en tête longtemps. Tous les empêchements liés aux mesures contre le Covid-19 le font ressurgir au point d’être « déclencheur ». Jonathan crée son entreprise – malgré l’impossibilité de contacts physiques, elle naît en mai 2021. Il doit encore attendre septembre pour que les difficultés d’approvisionnement soient surmontables, et enfin la lancer. En commençant par le commencement : « se faire connaître ». Depuis, Jonathan sillonne Chaumont dès 7 h le matin, à la force des mollets – « à vide, le vélo et bonhomme pèsent déjà plus de 100 kg ; chargé, en moyenne 300 à 350 kg… ». L’an dernier, il a convoyé « plus de 30 tonnes de marchandises, à raison de 25 à 30 courses par jour ».
Ovni peut-être ; vivant, c’est sûr
Le livreur à vélo suscite l’émotion. À pédaler comme un beau diable chargé comme un mulet, il force l’admiration. Son activité est-elle viable, au moins ? « Mais de quel niveau de vie ai-je envie ? », réplique l’intéressé. « Si l’on veut savoir si j’espère devenir millionnaire, la réponse est non ». En revanche, si l’on s’inquiète de savoir s’il boucle ses fins de mois, la réponse est oui. Ainsi, Jonathan ne prend jamais une voiture pour aller faire ses courses : le coût du carburant, il ne connaît pas. Le livreur suscite aussi un brin d’empathie. Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il gèle, il travaille. On a ainsi pu lui dire à quel point on le plaignait les premiers mois de cette année, quel courage, nom d’un chien. « Mais je ne suis pas tout seul dehors ! ». Comment peut-il garder le sourire ? « Faire la gueule, ça ne change rien ». Et puis il y a les automobilistes que la présence de son drôle de vélo irrite… et qui le lui font savoir en le houspillant, parfois rudement. Jonathan refuse de monter lui-même en température, c’est à ses yeux inutile. D’autant qu’il s’applique à être attentif à la circulation. Sans éviter pour autant la portière d’une voiture stationnée qui surgit, ou bien les piétons, tête baissée, tout à leurs mobiles… sans compter les enfants absorbés par leur monde à eux. Et l’Ovni se retrouve par terre.
Au total, Jonathan « fait quelque chose » aux Chaumontais, « quelque chose » de vivant.
« Merci pour votre altruisme »
« Je livre aussi des bouquets de fleurs, des boîtes de chocolat… » Avec sa clientèle de particuliers – une petite part comparée à celle des entreprises – Jonathan engrange de « jolis tableaux ». Il est des maisons qu’il visite régulièrement, habitées par des personnes âgées. Leurs enfants ont ainsi trouvé le moyen de scander un quotidien souvent tristounet. « Les anciens me disent qu’ils ont le sentiment d’être revenus au temps du facteur ». Le livreur est donc attendu – avec un café ou un petit morceau de brioche. Jonathan savoure l’instant bien-être que sa venue provoque. En chemin, on lui a parfois demandé un renseignement pour s’orienter : à ne pas de départir de son sourire, cet usager lent de la chaussée semble l’homme de la situation. Et le livreur renseigne… « sans faire payer ». De toute manière, les « merci », on lui en sert tout le temps, ce sourire, tout de même, que ça nous fait du bien ; et cet « altruisme » dont il témoigne, merci encore. « Aujourd’hui, c’est ce que tout le monde cherche », commente Jonathan sobrement. Et puis de toutes les manières, « la générosité, le bénévolat, c’est (mon) éducation ».
« Je vous livre gratuitement le sourire »
« Je voulais faire vivre Chaumont ». Pari gagné. En échange, Jonathan emmène dans sa tête les réactions des femmes auxquelles leurs compagnons ont fait la surprise d’un cadeau qui arrive à domicile, celles des retraités auxquels les collègues ont pensé… « Une entreprise, ce n’est pas fait uniquement pour gagner de l’argent ». Dans le monde 2.0 aussi, le livreur rencontre un sacré succès. « Je vous livre gratuitement le sourire. » Ce post-là a été vu plus de 17 000 fois et partagé comme aucun autre de sa page Facebook. Dans la rue, sur le web, Jonathan distille bien des petits instants bien-être.
Fabienne Ausserre
f.ausserre@jhm.fr