Hugo veut « dépoussiérer l’image du rémouleur »
Il a toujours un couteau dans sa poche, comme son père. Comme les pêcheurs, les chasseurs. À l’image de la tradition haut-marnaise, aussi. Hugo est rémouleur itinérant. Les villageois se félicitent de voir un jeune exercer « un vieux métier ».
« Sans trop le vouloir, j’étais dedans ». Sans encore, non plus, mesurer l’influence d’avoir un père monteur de ciseaux avant de verser dans la pince à épiler, Hugo s’enthousiasme pour le métier auquel il se destine : dessinateur 3D pour des bureaux d’études. Il suit une troisième d’année d’étude après le bac pour élargir le champ de ses compétences. Le voilà technico-commercial pour l’industrie, « en B to B ». Il décroche un emploi dans le secteur des pièces détachées pour les voitures. Pourtant, il garde un souvenir prégnant d’un documentaire sur les rémouleurs. En réalité, il devine que depuis six ans, c’est la profession dont il rêve. D’autant qu’ « il n’y a plus beaucoup de monde à affûter, surtout en itinérant ». Un constat qui le navre : « la Haute-Marne, c’est la coutellerie. Nogent est tout de même la deuxième capitale de France… ».
Major de promo
« Je me suis dit « c’est le moment » ». Sans enfant, sans maison à payer, Hugo peut encore prendre le temps d’une bifurcation professionnelle. À l’entrepreneuriat, il ne connaît rien alors il s’engage dans un parcours Forma CREA. Il veut savoir si en étant rémouleur itinérant, économiquement, ça passe. Pensée à son formateur Mathieu Paquin : « il faut rencontrer des gens comme ça pour se donner envie ». L’entreprise pourrait en effet être viable. Admis dans « la seule école de rémouleurs de France, FCTV affûtage, dans le Nord », Hugo sort major de sa promo – il était le seul « petit jeune ». L’entreprise Le Rémouleur Haut-Marnais naît officiellement le 1er février 2024. Le voilà avec son camion, il l’a aménagé avec l’aide de son père Dominique et de son frère Théo – sa mère Florence et sa compagne Lisa sont aussi en soutien. Cette fois, le jeune homme touche son rêve du doigt : « discuter avec les gens, être dans ma bulle avec le camion et bouger ».
Ni « vieillissant, ni bedonnant »
« J’ai aussi envie de dépoussiérer l’image du rémouleur ». À 26 ans, Hugo n’est ni « vieillissant » ni « bedonnant », et ses mains sont soignées. Être « clean », c’est dans son tempérament. Pour rendre des ciseaux de coiffeur qu’il a affûtés, il « met des gants ». Est raccord avec « le monde écolo », en entendant lutter contre la manie d’achat de matériels tranchants importés et le réflexe de les jeter quand ils ne coupent plus rien. « Réapprendre également aux gens à entretenir leurs outils », c’est aussi son objectif. Pour sa part, il « refroidit les lames à contresens du tranchant », de sorte que leurs propriétaires récupèrent « des lames de rasoir ».
Prendre soin du portefeuille des jardiniers
« Quand je gare mon camion, les anciens témoignent de l’engouement ». En faisant les marchés, Hugo voudrait par la suite récupérer d’anciens outils pour les rénover et les revendre à des prix abordables. « Les jardiniers sont souvent des retraités, qui ont de petites pensions ». Le jeune rémouleur tient conjointement à leur offrir des matériels de qualité. Redoutant que sa clientèle potentielle ait, sur les marchés de Chaumont et de Nogent, les mains encombrées par ses achats d’alimentation, il prévoit d’aller peut-être plutôt dans les villages. Ses premières incursions réconfortent bien des habitants, qui apprécient que ce vieux métier existe encore, grâce à un jeune.
Fabienne Ausserre
f.ausserre@jhm.fr