Une semaine, un livre : l’adorable menteuse et la garce nazie
“Une sale Française” de Romain Slocombe, est paru aux éditions du Seuil.
Auteur d’une trentaine de romans, Romain Slocombe est un spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale. Ce roman, basé sur des faits réels, évoque un épisode de la traque des “collabos” opérée aux lendemains de cette guerre par la Direction de la surveillance du territoire et la police française de l’épuration.
Deux femmes sont dans leur ligne de mire, toutes deux convaincues de collaboration avec l’ennemi : Aline Beaucaire, Alsacienne, employée d’hôtel et Aline Bockert, d’origine suisse, surnommée “la panthère rouge”. Outre la ressemblance de leurs patronymes, elles sont toutes deux jeunes, jolies, parlent l’Allemand couramment, ont fréquenté les mêmes lieux et les mêmes individus louches. A tel point qu’on imagine bien sûr qu’elles puissent n’être qu’une seule et même personne. Une enquête que reprend Romain Slacombe à l’aide de documents d’archives, d’un journal intime et des lettres rédigés par la jeune Alsacienne.
Aline Bockert a été condamnée, des sources policières en témoignent. Elle même atteste de son recrutement par les services secrets allemands, elle s’était spécialisée dans “la piste aux juifs”, en arrêtait jusqu’à huit à neuf par jour. On l’avait surnommée “la panthère rouge”.
Beaucoup plus complexe est le portrait qu’Aline Beaucaire dresse d’elle-même dans ses confidences en se posant en innocente, victime des circonstances. Enfant naturelle, un mari prisonnier depuis le début de la guerre, un fils en pension et un bel amant, Louis Cat, sergent pilote au service des Allemands lui aussi. Elle se dit amoureuse, naïve, s’étant rendue compte trop tard des activités auxquelles il se livrait avec ses amis « contre ce ramassis de youpins, de cocos et d’amerloques ». Elle s’enfuit avec lui, gagne la zone libre jusqu’à Marseille où elle est arrêtée, inculpée, protestant de son innocence : « vous comprenez dans quel milieu j’évoluais en ce temps-là et comment j’étais prise malgré moi dans un fatal engrenage ». « La guerre, la politique, ce sont des choses qui nous sont tombées dessus, nous n’avions rien demandé ! »
Mensonges ? Omissions ? L’adorable menteuse est-elle vraiment l’avatar de la femme sulfureuse ? Femme fatale ou femme manipulée ?
Cette fiction y répond, mais l’essentiel est dans la peinture réaliste des années sombres de l’Occupation et des périodes d’après-guerre avec leurs cortèges d’espions, de passeurs qui exploitent la détresse des autres, de trahisons, de dénonciations, de rafles, d’opinions manipulées par la propagande nazie.
Romain Slocombe aime démasquer « les choses qui sont derrière celles qui ne sont pas dans la légende officielle ». Ainsi du sort des Alsaciens absorbés par l’Allemagne, « sales Français » pour les uns, « sales Allemands » pour les autres. Méchants collabos d’un côté, courageux résistants de l’autre, il sait nous montrer combien la réalité est plus complexe, beaucoup moins manichéenne.
De notre correspondante
Françoise Ramillon