“Stupeur” de Zerula Shalev, aux éditions Gallimard dans la collection “Du monde entier”
La grande romancière israélienne qu’est Zerula Shalev est connue en France pour le livre “Ce qui reste de nos vies”, paru aussi chez Gallimard et qui lui a valu le prix Femina étranger. Femme engagée qui milite pour la paix à laquelle « elle veut croire », elle fait partie d’un mouvement qui regroupe des femmes palestiennes et juives. Ses grands-parents ont été les fondateurs d’un des premiers kibboutz en 1912 et c’est avec passion qu’elle raconte un pays qu’elle connaît intimement.
Le roman s’ouvre sur deux portes fermées.
Devant la première, une jeune femme juive, Rachel, attend que sa belle-mère ouvre pour qu’elle puisse parler avec son mari, Menahim Rubin, dit “Mano”, qui l’a quittée sans explication.
Devant la seconde, de nos jours, 70 ans plus tard se tient Atara, la fille que Mano a eue d’un second mariage. Un père sévère, peu aimant, qui sur son lit de mort, la confond avec une certaine Rachel à laquelle il crie un amour éperdu. Elle veut comprendre, elle veut savoir, elle a retrouvé trace de cette Rachel qui pour l’instant refuse de lui ouvrir.
La rencontre de ces femmes aura bien lieu et à travers leurs deux voix, le parcours de tout un pan d’histoire et des luttes menées, d’abord contre les occupants britanniques jusqu’en 1948, date de la création de l’Etat d’Israël, un pan oublié auquel ont participé activement Rachel et Mano au mépris de toute vie familiale. « On voit, dit l’auteure, comment une situation extérieure peut affecter la vie des gens pendant de nombreuses années ». Mano et Rachel ont mené un combat pour poursuivre leur idéal : « Les arabes qui vivent ici ne sont pas nos ennemis. Nous allons réussir à fonder ensemble un front commun contre l’envahisseur britannique… Sans distinction de religion, de race ou de nationalité ». Ils y ont cru. Rachel en garde à la fois une profonde nostalgie et une grande déception : « Pour la première fois, elle voit ce que leur exaltation avait d’excessif, leur mépris pour la vie humaine ».
Zeruya Shalev y voit l’occasion de dresser le portrait de deux femmes qui ont eu des vies pleines de fêlures, d’interrogations, de culpabilité mais qui appartiennent à deux générations différentes : la première, « une génération idéaliste, active, fanatique » ; la seconde, affectée par des « phénomènes méprisables », hédonisme, matérialisme, vulgarité, étroitesse d’esprit, corruption.
« C’est mon roman le plus politique, dit l’auteure, mais je m’y intéresse toujours beaucoup à l’intimité ». L’intrigue, aussi passionnante qu’instructive, diffuse un message d’amour et de réconciliation…
De notre correspondante Françoise Ramillon