Adjudicataire de chasse : une passion très prenante
Alors que la saison de chasse se termine en Haute-Marne, rencontre avec un adjudicataire, qui gère dans l’Est du département un domaine de 1800 hectares et environ 80 chasseurs et invités. La passion anime Jean-Louis Henriot à Semilly.
Jean-Louis Henriot est né à Semilly en 1963. Après des études en ébénisterie et avoir fait ses armes à Liffol, il a passé sa vie en région parisienne comme artisan, avec Annie, sa femme, qui s’occupait de la gestion de l’entreprise et du magasin.
Il y a quelques années, c’est tout naturellement qu’ils sont revenus aux sources, à Semilly. Annie occupe bien sa retraite au service des autres. Elle est notamment première adjointe de la commune, à l’ADMR, à l’équipe paroissiale…
Jean-Louis a toujours eu une passion pour la chasse qu’il a pratiquée toute sa vie. Depuis 2018, il est adjudicataire et gère environ 80 chasseurs actionnaires et invités par semaine, et 1 800 hectares de forêts où ils pratiquent cette activité.
Le temps de la chasse de grand-papa, où chacun faisait à peu près ce qu’il voulait, comme il l’entendait est révolu…
Aujourd’hui, la sécurité, l’écologie, le carcan administratif, les pressions contre la chasse ont compliqué la donne ; l’adjudicataire est responsable… de tout ce qui ne va pas surtout ! C’est donc une lourde charge qui repose sur ses épaules.
JHM : Comment se gère une chasse ?
Jean-Louis Henriot : A la base, il y a souvent un groupe de chasseurs plus ou moins important qui se connaissent plus ou moins, et souhaitent se retrouver pour pratiquer cette activité. Ce qu’ils souhaitent ? Passer des dimanches sereins, en sécurité, sans tracas… Il faut donc trouver une ou plusieurs forêts privées ou communales en adéquation avec le “nombre de fusils”.
Il faut établir des baux avec des propriétaires privés, des communes, ou l’Etat (chasses domaniales). Etre connu pour son sérieux, sa solidité financière sont des préambules. En effet, le preneur est responsable civilement, pénalement et pécuniairement. Il faut, comme on dit, avoir la tête sur les épaules. On y reviendra, mais la rigueur est de mise à chaque instant.
JHM : Comment devient-on adjudicataire ?
J-L H. : La location de droit de chasse se fait sous forme d’un bail annuel, de 3 ou 9 ans, suivant les cas. Il faut donc convaincre les propriétaires d’accorder ce droit de chasse sur des massifs contigus afin de créer une surface viable. Un cahier des charges, plutôt épais, doit être signé et respecté sous peine de nullité ou pénalités. Souvent, une caution bancaire personnelle est demandée, justifiant ainsi de l’engagement du demandeur et sa stabilité financière. Une assurance spécifique est obligatoire.
Les contacts avec la Fédération des chasseurs et l’ONF sont également nécessaires.
Les surfaces louées doivent être en adéquation avec le nombre d’actionnaires afin d’obtenir un équilibre financier, mais aussi garantir le nombre d’animaux prélevés, fixé à l’avance.
JHM : Au niveau formation, qu’en est-il ?
J-L H. : Financièrement, la chasse se gère comme une entreprise, autant dire qu’il vaut mieux savoir compter ! Une formation “Sécurité” délivrée par la Fédération est obligatoire, et nécessaire. Une autre habilitation, non obligatoire, me permet de former des jeunes (du point de vue pratique) ; ainsi, chaque année je forme un stagiaire, souvent un jeune, sur le terrain.
JHM : Quels sont vos interlocuteurs ?
J-L H. : Naturellement, propriétaires, ONF, Fédération sont les interlocuteurs privilégiés. Les maires des communes sont tenus informés des jours de chasse et de ce qui se passe en forêt.
Bien sûr, nous sommes attentifs et à l’écoute des entreprises qui travaillent en forêt, des associations, des affouagistes et des promeneurs que nous pouvons croiser. Nous faisons tout afin d’allier notre passion, notre rôle de contrôle des populations de gibier avec la sécurité et l’accès en forêt à tous ceux qui le souhaitent. Si une association veut programmer une marche en forêt pour ses adhérents, nous nous organisons évidemment pour leur laisser libre accès et ne pas chasser au même endroit le même jour.
Nous sommes en relation constante également avec les adjudicataires de chasses mitoyennes.
Je suis également proche du monde agricole ; si des dégâts de gibier sont signalés, nous effectuons des traques sur ces secteurs afin de les minimiser.
JHM : Comment se déroule une journée de chasse ?
J-L H. : Le rendez-vous est fixé à 8 h 20 ; après signature du registre et contrôle des documents des chasseurs invités, j’organise systématiquement un briefing (aussi appelé le rond, ndlr) où toutes les consignes sont rappelées, ensuite les chasseurs rejoignent leur poste. Après la pause déjeuner, sans alcool naturellement, l’action de chasse reprend jusqu’à la fin de l’après-midi.
Pour ma part, pendant ces jours de chasse, j’ai plutôt un rôle de coordinateur. Tous les chasseurs sont équipés d’un talkie-walkie et nous communiquons afin d’éviter les problèmes. Je peux intervenir rapidement, en cas de malaise ou pour un chien blessé, par exemple.
JHM : Quels animaux sont prélevés, et combien ? Que deviennent-ils ?
J-L H. : Nous achetons des bracelets, qui nous permettent de tirer sangliers, cerfs, chevreuils, mouflons. Le nombre de bracelets est imposé par la fédération, lié aux populations et aux dégâts de gibier. Les consignes sont de ne pas tirer sur les petits ou les mères suitées, sous peine de sanctions.
Si un gibier est blessé, la priorité est de le retrouver, parfois en faisant appel à des chiens de recherche au sang spécialisés afin que l’animal n’agonise pas.
Nous possédons une chambre froide afin de maintenir la chaîne du froid ; le gibier est partagé entre les chasseurs présents mais aussi pour une partie envoyé à l’abattoir de Strasbourg (seul habilité de la région) pour être découpé, contrôlé et distribué ensuite dans certaines cantines.
JHM : En dehors des périodes de chasse, avez-vous de l’activité liée à ce rôle d’adjudicataire ?
J-L H. : La période de chasse en battue se situe entre octobre et février ; quelques personnes chassent à l’approche de juin à octobre.
Hors périodes de chasse, nous devons entretenir les chemins et tranches, agrainer le gibier (c’est la préfecture qui contrôle ces dates ainsi que les quantités de céréales distribuées). J’ai également un rôle de surveillance de la forêt, là encore en concertation avec l’ONF et les propriétaires forestiers. Je dois m’assurer du bon état de notre relais de chasse et de tout le matériel (cuisine, chambre froide,…)
Les assemblées générales de la Fédération et de mes actionnaires, les formations et différentes réunions sont des moments importants et incontournables.
JHM : Malgré toutes les responsabilités, les tracasseries administratives et la gestion d’une chasse en général, êtes-vous prêt à rempiler ?
J-L H. : Oui, sans hésiter ! C’est une passion, une belle aventure humaine, et j’ai vraiment le sentiment d’aider à la régulation des populations d’animaux, évitant ainsi dégâts de gibier et pandémies.
Propos recueillis par notre correspondant Christophe Rogi