Ghislain Gilberti, poids et cœur lourds du roman policier
Chaumont a accueilli, samedi 20 janvier, dans le cadre des Nuits de la lecture, l’auteur à succès Ghislain Gilberti. C’est un vrai plaidoyer en faveur des différences qu’a livré le romancier à l’espace Bouchardon, devant des Chaumontais attentifs, parfois fans de la première heure.
Ghislain Gilberti n’a pas été convié à Chaumont par hasard. Sa littérature, trés ancrée dans le réel, a pris pour habitude de représenter les corps engagés, marqués ou tatoués, témoins absolus et sans filtre d’autant de vies campées. Thème de ces dernières Nuits de la lecture : le corps. Accompagné par Tara Lennart, Ghislain Gilberti est revenu sur son parcours, que rien ne prédestinait à devenir roi des librairies. « J’ai grandi dans une commune près de Belfort. Je regardais les barres d’immeubles, et j’inventais des petites histoires, que j’écrivais pour les lire aux gamins du quartier. J’amusais les amis, qui en redemandaient », confie l’auteur. Ghislain Gilberti était un enfant battu, pour qui la lecture, gloutonne, et l’écriture sont devenus échappatoires à la maltraitance. Mais difficile de se construire quand on n’a pas de repère, pas assez d’amour, pas d’éducation valable. Le jeune-homme sombre dans la drogue, qu’il consomme et qu’il vend. S’extraire de la famille à tout prix. Pour faire face à la concurrence, aux gangs, on s’équipe : gros calibres, fusils à pompes, armes de poing. La violence est partout, la drogue, dure. En 1999, il est appelé pour le service militaire, qui lui sauvera la vie. « Sans ces 18 mois, je serais mort, en prison, ou les deux ». Il devient tireur de précision au 152e régiment d’infanterie à Colmar, se passionne pour les armes en tous genres et décroche totalement de l’héroïne. A l’issue de son service militaire, il devient tatoueur mais surtout, papa de son premier enfant, Paul. Là, définitivement finies les « conneries ».
Pas d’éditeur mais 100 000 lecteurs
Armé jusqu’aux dents de son expérience, l’écriture s’est naturellement de nouveau imposée, méthode de recyclage du vécu. De son passé de trafiquant, Ghislain Gilberti conserve une admiration pour l’efficacité de certaines brigades, telle l’OCRVP (Office central pour la répression des violences aux personnes) et certains flics, prompts au dialogue. C’est la lecture de la trilogie Millénium de Stieg Larsson qui sera déterminante et donnera « voie au chapitre » du premier roman de Ghislain Gilberti, « Dynamique du chaos », en 2004, entre polar, thriller et suspense. Pour rester réaliste et crédible, l’homme bûche le Code pénal, lit tout ce qu’il trouve sur la déontologie et la méthodologie policières, médecine légale et police scientifique. Son roman étant refusé par les maisons d’éditions, de guerre lasse, l’auteur finira par le mettre en téléchargement libre sur Internet. Il comptabilisera au total plus de 100 000 lecteurs. C’est avec « Le festin du serpent », quelques années plus tard, qu’il sera repéré, entre autres, par Albin Michel (maison d’origine haut-marnaise). Il signe finalement chez Anne Carrière, et la sienne est lancée. L’ancien méchant est maintenant, littérairement, du côté des flics : « Même si on y trouve des cons comme partout, je respecte l’institution ».
Une trilogie adaptée en série
La littérature de Ghislain Gilberti, c’est celle des états critiques, des mises en danger, la vie comme jouée aux dés, la tentation du naufrage quand les cartes sont mal distribuées au départ. Ses personnages, certains récurrents au fil des romans, sont inspirés de personnages réels : « quand on connaît les gens, on a les champs lexicaux, la manière de bouger et de s’exprimer. On est moins bancal ». Et quels gens : « les atypiques, les marginaux, les éjectés, les parias, les émargés. Ils ont tellement vécu de choses qu’ils ont beaucoup à nous apprendre ». Le souhait de Ghislain Gilberti : « leur rendre un peu la parole, un peu de hauteur quand ils en ont manqué. Je n’aime pas l’ignorance de certains, les gens bornés, braqués, même sans argument ». L’humanité selon Ghislain Gilberti : « heureux les fêlés car ils laissent passer la lumière ». Stupéfiant.
Elise Sylvestre
En bref
Tara Lennart est journaliste, et crée Bookalicious, un média promouvant l’édition indépendante. Elle travaille également comme animatrice d’événements littéraires et collabore avec des organisations qui promeuvent l’accès à la littérature. De retour à Chaumont en mai 2024 pour le Salon du livre. L’oeuvre de Ghislain Gilberti est ponctuée de récits de violence, mais comme il l’affirme : « si elle est justifiée dans le récit, et non pas gratuite, il faut la montrer, pas besoin de mettre un voile dessus. Jamais de violence complaisante, juste une réalité ». La trilogie des ombres est en cours d’adaptation pour une série télévisée mais chut ! C’est en cours. Didier, lecteur chaumontais de 66 ans : « c’est remarquablement bien écrit. Rythmé, documenté, au sein du territoire français qu’on aime et reconnaît… C’est accessible à tout le monde. J’ai découvert le premier tome à la médiathèque (merci, sic ) et j’ai tout dévoré. Suis heureux d’être là ». Chaumont, terre de lecteurs aux trois librairies, ne s’y est pas trompé.