Hélas, aussi simplement que cela
Chalvraines, te souviens-tu ? Vingt-sept janvier 1944. Dans la matinée, un autobus escorté de quelques motards s’arrête devant une maison où comme ailleurs on vaque. Parce que juive, la famille Jablonski / Liebmann est embarquée. Les feldgendarmes allemands agissent de plein droit. On rafle, aussi simplement que cela.
Le quotidien et l’amour fracassés en une poignée de secondes. Et personne ne reviendra. Seule rescapée de la rafle, Elise-Esther Jablonski, petite soixantaine d’années. Epargnée par les feldgendarmes, elle assiste impuissante à l’arrestation de son mari Lucien, son petit-fils André âgé d’à peine 5 ans, sa belle-fille Eugénie. Cette dernière vivait avec sa mère et ses deux sœurs, toutes trois raflées également.
Venus de Moselle
Lucien et Elise-Esther Jablonski sont commerçants en textiles à Hagondange, en Moselle. Leur fils, Henri, épouse en 1937 Eugénie Liebmann, née en 1910. Le couple ouvre lui-aussi un commerce, à Sarreguemines, et ne tarde pas à accueillir leur fils André en avril 1939. La même année, à la déclaration de guerre, Henri est mobilisé, les habitants des zones frontalières de Lorraine sont évacués, sous réserve de peu de bagages, vers des zones moins inhospitalières. C’est ainsi que les familles Jablonski et Liebmann, unies par le mariage de leurs enfants, s’installent ensemble à Chalvraines dans une ancienne fabrique de gants.
Loin du front
A la manière de, les évacués lorrains, tout comme les habitants de Chalvraines, vivent au rythme de la campagne, incapables d’imaginer l’horreur sur le point de se mettre en place avec la complicité de Vichy. En 1940 décède au milieu des siens Alexandre Liebmann, père d’Eugénie. 1942 : début des arrestations de juifs en Haute-Marne. Octobre : six personnes sont arrêtées, dont Georgette Jablonski, sœur de Lucien, déportée à Auschwitz à l’âge de 48 ans. L’enfer a commencé. Vingt-sept janvier 1944, le reste de la famille est raflé, à l’exception d’Elise-Esther, malade. Henri doit sa survie à sa mobilisation en 40, ce qui lui vaudra cinq années d’incarcération dans un stalag en Allemagne. Difficile de concevoir ce qu’il a pu ressentir en regagnant Chalvraines, en 1945. A l’époque, on n’imaginait pas ces choses-là. Aujourd’hui, il n’y a qu’à regarder dans le rétro pour constater que l’infamie se présente calmement, sans faire trop de bruit, sous les traits d’hommes comme les autres condamnant une famille comme les autres. Aussi simplement que cela.
Elise Sylvestre
Famille Jablonski / Liebmann
Ils s’appelaient Lucien Jablonski, Elise-Esther Jablonski, Georgette Jablonski, Henri Jablonski, Eugénie Liebmann épouse Jablonski, André Jablonski, Pauline Liebmann, Elise Liebmann, Gabrielle Liebmann.
Une première rafle a lieu en Haute-Marne en juillet 1942, concernant les valides aptes à travailler en Allemagne. Sont épargnés les enfants, jeunes, vieillards et invalides. Octobre 1942, deuxième rafle, sans distinction.
La famille de Chalvraines fera partie du convoi numéro 68, direction Auschwitz, qui comporta environ 1 500 déportés, dont 84 haut-marnais (15 âgés de moins de 18 ans). Le plus jeune était âgé de 2 ans et un mois. Tous gazés immédiatement à leur arrivée, la débâcle allemande approchant.
Le dernier convoi portait le numéro 77. Il est parti du camp de Drancy, le 31 juillet 1944, soit dix-sept jours avant la libération du camp. Il a déporté 1 309 personnes, dont 324 enfants et nourrissons, entassées dans des wagons à bestiaux.