Du bon usage de l’eau : il y a des idées, reçues ou pas
Rechercher des solutions pour sécuriser la ressource est légitime, à condition de commencer par user de l’eau avec sobriété, répète souvent la directrice de la Maison régionale de l’eau, Karine Viciana. Décryptage de quelques assertions souvent lues ou entendues. Et de leurs limites.
#1 En arrosant ma pelouse, j’alimente la nappe phréatique
Quand l’eau arrive à notre robinet, ou dans notre tuyau, on ignore où elle a été prélevée et on oublie souvent qu’elle a voyagé. C’est là qu’il faut se creuser la tête.
«La problématique de fond est le partage de l’eau entre les territoires. Là où la ressource est prise dans le milieu naturel, et là où elle est restituée, analyse Karine Viciana. La truite qui est dans la rivière où l’eau a été prélevée, ça lui fait une belle nageoire que cette eau reparte dans la nappe phréatique, 50 km plus loin.» C’est là le premier point : le prélèvement se fait rarement à l’endroit où l’eau retourne dans le sol profond.
«En plus, il y a tous les phénomènes d’évapotranspiration. Dès qu’il fait chaud, cette eau part majoritairement dans l’atmosphère». Et n’est plus accessible.
#2 Avec la “Reut”, la ressource sera toujours disponible
Les eaux réutilisées après avoir été retraitées en sortie de station d’épuration sont désignées par le mot “Reut”. Voilà une piste souvent évoquée pour récupérer une ressource facilement disponible.
«La Reut fait l’objet de beaucoup de recherches, principalement pour de l’irrigation agricole, d’espaces verts, ou de golfs. C’est une solution qui n’est absolument pas à négliger, car elle évite en partie de pomper dans les ressources, c’est pertinent», abonde Karine Viciana. Pour autant, au-delà des coûts liés aux installations et réseaux nécessaires, la Reut a des impacts, souligne la spécialiste.
«Lorsqu’on est dans les terres et pas en bord de mer, les sorties de stations d’épuration sont généralement situées dans les lits majeurs des rivières. Vu les phases d’assecs que nous connaissons sur les cours d’eau, c’est un apport qui n’est absolument pas négligeable.»
Exemple ? «En 2022, heureusement que les stations étaient là, dans la zone du Haut Argens [dans le Var], pour soutenir le débit de la rivière. Il n’est resté que ça au milieu aquatique. »
#3 Nos rivières ne coulent pas ou peu en été, c’est normal
Voilà le genre de phrase qui fait sursauter Karine Viciana, même en Provenc – Alpes – Côte-d’Azur. «Sur le pourtour méditerranéen, il existe des rivières intermittentes, ou temporaires, qui ont une phase d’assec en été, de façon naturelle. Dans ce cas, la faune a des cycles de vie adaptés, des stratégies de ponte. Mais ce sont seulement quelques cours d’eau.» Pour l’essentiel, les fleuves côtiers coulent, ou sont censés couler, y compris en été.
«Les débits sont en baisse l’été, cela est normal oui. Cette année 2023, les pluies de mai et début juin ont sauvé le début de la période estivale. Mais les assecs avaient commencé très tôt dans la saison et c’est la faune qui est en souffrance.»
#4 Arroser en ville, c’est bénéfique contre la chaleur
«Avec les chaleurs, il est évident que les points d’eau sont nécessaires, on le ressent tout de suite, approuve la directrice de la Maison régionale de l’eau. Végétaliser ? Bien sûr qu’on a besoin de trouver de la végétation en ville, de mettre des arbres en terre, et pas en pot.»
Faire de l’ombrage, créer des toitures végétalisées… sont des exemples concrets d’actions bénéfiques, qui demanderont forcément un arrosage. Cet été, certains élus ont franchement grincé des dents, car ils ne pouvaient pas arroser leurs arbres, contraints par les arrêtés préfectoraux.
Karine Viciana observe avec intérêt les efforts de réintroduction végétale. «Nous devons retrouver les essences méditerranéennes qui peuvent amener de la fraîcheur en ville, avec sobriété. Grâce à une végétation adaptée et pas exotique. Dans le même temps, il est utile de travailler sur l’acceptation par les citoyens.»
Tous les végétaux ne sont pas perçus à la même enseigne. «Il est indispensable d’accepter de passer d’un jardin artificiel, à un jardin naturel, avec de l’herbe que certains disent mauvaise. Retrouver la nature en ville, c’est aussi changer les mentalités.» Et accepter une herbe jaunie en été.
Sonia Bonni, Nice-Matin