La guerre déclarée aux plantes invasives dans le canal
Les équipes de Voies navigables de France (VNF) ont déclaré la guerre au myriophylle hétérophylle, une plante exotique invasive qui a colonisé le canal entre Champagne et Bourgogne. L’opérateur vient de faire l’acquisition de L’Assaut, un nouveau faucardeur-moissonneur tout prochainement opérationnel.
Myriophylle hétérophylle. C’est le nom d’un fléau. Découverte en 2011, cette plante herbacée originaire d’Amérique colonise les canaux de France. Celui entre Champagne et Bourgogne, qui traverse la Haute-Marne, n’échappe pas à ce mal. Ces plantes qui pullulent freinent la progression des péniches, si bien que les équipes de Voies navigables de France (VNF) ont dû trouver des solutions pour les éradiquer.
Arnaud Petitot, responsable du canal pour VNF, en dit plus sur la manière dont ses équipes mènent la lutte contre cette espèce invasive exotique. Les agents utilisent le Catalogne, un ancien petit bateau pousseur. Équipé « d’une lame, trainée au fond comme un peigne », il permet de couper les plantes et de rétablir une navigation plus fluide pour péniches et bateaux de plaisance. Problème : les morceaux de myriophylle hétérophylle sectionnés s’accumulent au niveau des écluses et doivent être évacués à l’aide de râteaux le cas échéant et de mini pelles pour être sortis des eaux.
Des expérimentations ont été menées en 2021 et ont permis d’ajuster la manière d’agir pour lutter contre cette plante.
Près de 10 000 m3 sortis du canal
L’avantage – si l’on peut dire -, est que « ces plantes ne sentent pas mauvais et ne dégagent pas d’émanations toxiques ». Pour l’heure, il n’y a pas de solution pour les valoriser. « Il y a eu des essais pour les employer pour la méthanisation, mais ce n’était pas concluant », observe Arnaud Petitot.
Le Catalogne étant loin de suffire pour venir à bout de ce fléau, VNF fait appel à des prestataires extérieurs. Il y a quelques jours, une entreprise alsacienne intervenait au niveau de Bologne. « C’est un endroit où il y a beaucoup de plantes, je n’avance pas très vite », livrait le salarié. Ils peuvent être jusqu’à cinq faucardeurs à opérer de la sorte en même temps en différents points du canal.
Au mois de novembre, près de 10 000 m3 de myriophylle hétérophylle auront été tirés des eaux haut-marnaises du canal.
Faire appel à des prestataires et louer des mini-pelles a un coût pour VNF. La note est salée, puisque pour cette année, il faut compter 200 000 € versés aux prestataires pour le faucardage et 150 000 € pour la location des mini-pelles.
Un faucardeur-moissonneur pour mener cette guerre contre myriophylle
En toute logique, VNF investit puisque c’est une certitude : il faudra désormais faire avec cette plante. Un faucardeur-moissonneur flambant neuf permettra tout prochainement aux équipes d’assurer directement ces missions. D’un montant avoisinant les 500 000 €, cette embarcation devrait être opérationnelle début 2024.
Gros avantage, « ce nouveau bateau permettra de ramasser 80 % de ce qu’il coupe », précise Arnaud Petitot. Il a été baptisé « l’Assaut », en écho à un ruisseau entre Haute-Marne et Meuse, c’est-à-dire les deux départements où il sera amené à intervenir.
Sylvie C. Staniszewski
s.chapron@jhm.fr
Myriophylle hétérophylle, cette plante qui mène tout le monde en bateau
Myriophylle hétérophylle. Ce nom scientifique ne vous dit peut-être pas grand-chose, mais il hante les nuits des usagers du canal. Cette plante invasive originaire d’Amérique et identifiée dans la Somme en 2011 a envahi les eaux et singulièrement compliqué la navigation.
Ce n’est pourtant qu’en 2018 que VNF s’est aperçu que cette plante avait colonisé son canal Entre Champagne et Bourgogne. Avec Elisabeth Gross, spécialiste du myriophylle hétérophylle à l’Université de Lorraine et qui a identifié formellement la plante en 2017, Voies Navigables de France affine ses connaissances et expérimente régulièrement de nouvelles méthodes pour tenter d’éradiquer sinon de limiter la prolifération.
« Les plantes invasives colonisent, se développent, puis elles finissent souvent par être remplacées par d’autres. Ce sera vraisemblablement le cas du myriophylle hétérophylle », confie Elisabeth Gross. La nature ayant horreur du vide, déjà, une nouvelle espèce prend du volume. Observée voici 15 ans, l’Eventail de Caroline pourrait bien supplanter le myriophylle d’ici cinq ans. « Ce sont comme des vagues, toujours plus puissantes », prévient-elle.
Navigation, entretien et troubles musculo-squelettiques
Aujourd’hui, le myriophylle hétérophylle ne fait pas que gêner la navigation. Elle constitue aussi une difficulté supplémentaire importante à l’entretien des canaux, puisqu’elle colmate à la fois les écluses et les déversoirs. Les coupes successives ne font qu’accélérer sa repousse et multiplier les boutures. « Plus on tond une pelouse, plus elle repousse vite. C’est donc à ses racines qu’il faudrait s’attaquer », assure Elisabeth Gross. « Mais les arracher sur une surface si énorme prendrait un temps considérable inenvisageable ».
Si cette plante crée « des habitats et refuges pour les animaux », sa densité trop forte peut aussi entraîner un « environnement délétère ». Sans compter ses conséquences sur la santé des agents VNF. Les tâches répétitives pour extraire les plantes entraînent de nombreux troubles musculo-squelettiques.
Ce qui laisse à penser à Elisabeth Gross et Hélène Groffier, qui effectue une thèse sur le myriophylle hétérophylle : « Il faut agir en amont. Traiter les causes et non plus les conséquences. Il faut exploiter les solutions qui pourraient se situer à l’échelle du bassin versant, des eaux usées et des eaux grises entre autres ».
Delphine Catalifaud
Une plante d’aquarium interdite à la vente
Plusieurs plantes d’aquarium figurent dans la liste des espèces interdites d’importation, de culture, de vente ou échange en France. Le myriophylle hétérophylle en fait partie. Autrement dit, il est normalement exclu de le trouver dans les jardineries. « Tout ceci à condition que la plante soit correctement identifiée par les services de douane », prévient Elisabeth Gross. Certaines espèces se ressemblent en effet comme deux gouttes d’eau et nécessitent parfois des analyses génétiques pour les identifier formellement.
Face au myriophylle hétérophylle, VNF a “changé sa façon de réfléchir”
En 2021, sur le canal Entre Bourgogne et Champagne, Voies Navigables de France (VNF) expérimentait le Harkboot, un bateau-râteau venu des Pays-Bas capable de couper les racines du myriophylle hétérophylle, une plante exotique qui envahit le canal. Deux ans après, quels résultats a donc donné cet essai ?
Du point de vue de la société qui a effectué cet arrachage, l’expérimentation a été concluante. « La densité de la plante a beaucoup diminué là où nous sommes passés », estime Leon Sterk, le gérant Harkboot. « Mais dans une situation aussi avancée, deux voire trois passages auraient été nécessaires ».
Un avis partagé par Cécile Pestelard, référente technique environnement à la division territoriale Nord-Est de VNF, pour qui l’élimination de plante n’était pas l’objectif visé. « Il aurait fallu deux semaines pour boucler un kilomètre. Le canal compte 350 km, et deux passages sont nécessaires. Cet arrachage est donc inenvisageable », indique-t-elle. La méthode, fastidieuse et énergivore, serait également très coûteuse. Cette expérimentation ne sera donc pas reconduite.
Des interventions contre le myriophylle à l’automne et plus en été
En revanche, en se rapprochant de spécialistes à l’Université de Lorraine notamment, VNF a fait évoluer sa façon de réfléchir. « On cherche l’anticipation et non plus le traitement curatif », résume Cécile Pestelard. Jusqu’ici, les interventions s’effectuaient en période estivale. C’est désormais à l’automne que les opérations sont programmées. « Nous ne sommes plus en période de pousse, donc la repousse est plus lente alors qu’en été, elle peut atteindre 30 cm par semaine. Par ailleurs, nous n’avons pas de nutriments qui se redéposent, ni de libération d’auto-fragments, qui recréent des boutures ».
Cette nouvelle planification donne de la place et de la lumière aux espèces locales qui se réimplantent et la coupe tient « jusqu’à la réouverture de la navigation ». Un début de solution, manifestement.
Delphine Catalifaud