Des appelés dans le putsch d’Alger

Trente-six ans après son premier ouvrage consacré à la guerre d’Algérie, l’historien lorrain Patrick-Charles Renaud revient sur les 18 derniers mois d’existence d’un régiment ayant participé, en avril 1961, au fameux « putsch des généraux ».

Une idée reçue veut que le putsch militaire – manqué – d’avril 1961 à Alger a été exécuté par des soldats « de métier », légionnaires et parachutistes en tête. Que jamais les appelés du contingent ne se sont commis dans cette tentative de « coup d’Etat ». Rien n’est plus faux. C’est ce que démontre l’historien Patrick-Charles Renaud dans son dernier ouvrage, « Parachutistes du 14^e RCP en Algérie », paru en juin 2023*.

Originaire de Meurthe-et-Moselle, l’auteur, dont l’oeuvre a été couronnée par plusieurs prix, est reconnu pour avoir écrit de nombreux ouvrages sur la Première Guerre mondiale, mais également sur la guerre d’Algérie, la guerre aérienne et, récemment, sur l’entrepreneur nancéien Paul Daum, mort en déportation. Son premier livre, paru en 1987, portait précisément sur le 14^e régiment de chasseurs parachutistes (RCP) en Algérie, régiment au sein duquel son oncle a perdu la vie. Aujourd’hui, l’auteur est revenu sur cette unité en s’intéressant aux 18 derniers mois d’existence d’un régiment qui, comme le 18^e RCP, était composé d’appelés.

« Très traumatisés »

« Depuis la parution de mon premier livre, j’ai reçu de nombreux témoignages, et notamment celui du colonel Lecomte, qui était le commandant du régiment », explique Patrick-Charles Renaud. De ses multiples entretiens avec ce militaire à la carrière stoppée net, il a acquis la conviction qu’il « n’était pas un fou furieux, pas un mercenaire ou un fasciste, mais un homme tempéré, équilibré, qui avait combattu le nazisme ».

Alors pourquoi Pierre Lecomte a-t-il entraîné ses hommes dans un putsch « désespéré » ? L’auteur rappelle le contexte : « Le terrible accrochage de Pâques 1961 a été l’élément déclencheur. » Le 2 avril 1961, quelques jours avant le passage à l’acte de leurs camarades, sept parachutistes du 14e perdaient la vie dans un rude combat contre les soldats du FLN*. De cette tragédie, « les vétérans que j’ai rencontrés restaient encore très traumatisés », explique l’écrivain.

« J’ai donné ma parole »

Alors que ces « appelés donnaient tout », la perspective d’une indépendance donnée à l’Algérie – l’ouvrage commence le 16 septembre 1959, lorsque le général de Gaulle évoque l’autodétermination – leur donne l’impression que le sacrifice de leurs amis risque d’être vain. Prendre part au fameux putsch d’un « quarteron de généraux en retraite », selon l’expression fameuse du président Charles de Gaulle ? « La moitié des officiers du régiment était contre », rappelle l’auteur. Le colonel Lecomte ne semblait guère croire au succès de l’entreprise mais, comme il l’a déclaré, « j’ai donné ma parole ». Alors il a entraîné ses hommes.

Rayé des cadres

Trois régiments, surtout, ont pris part à cet acte de sédition : un de légionnaires, le 1er REP, deux d’appelés. La tentative, marquée du sceau de l’« amateurisme », est un échec. Ministre des Armées de l’époque, Pierre Messmer se montrera implacable : les trois régiments sont immédiatement dissous pour « abandon de poste ». « Les officiers du 14^e RCP, parmi lesquels des appelés, ont été envoyés dans un fort à Paris, interrogés, et, pour la plupart, libérés au bout d’un mois, explique Patrick-Charles Renaud. Le colonel Lecomte, lui, a fait huit ans de détention. » Puis il a été rayé des cadres de l’armée.

C’est l’état d’esprit des appelés qui étaient sous les ordres de Pierre Lecomte, qui « ne parvenaient plus à donner du sens au combat que la France leur demandait de mener en Algérie », qu’a souhaité évoquer l’auteur, ne se faisant ni leur juge, ni leur avocat.

L. F.

* Front de libération nationale.

« Parachutistes du 14e RCP en Algérie. Des doutes à la révolte (septembre 1959 – avril 1961) », Editions Memorabilia, 224 pages, 2023.