«Ne pas vivre dans un trou»
Ministre de la Santé, Marisol Touraine a émis la proposition d’une rémunération minimale de 4 600 euros nets pour les médecins généralistes s’implantant dans des secteurs frappés par la désertification médicale. Un médecin tirant 3 000 nets de son activité verrait ainsi sa rémunération être valorisée de 1 600 euros, surplus versé par l’Etat. Ce soutien serait limité à deux ans. Réaction de Daniel Masik et Nicolas Schuffenecker…
Président de la Corporation des étudiants en médecine de Dijon, Daniel Masik réserve un accueil mitigé à l’annonce de Marisol Touraine. «Il faut arrêter de limiter le problème de la désertification médicale à des questions financières, les médecins généralistes gagnent bien leur vie, d’autant plus en milieu rural. Garantir des revenus de 4 600 euros ne répond donc pas au problème. Beaucoup de médecins seraient prêts à exercer en milieu rural, à condition de ne pas vivre dans un trou, martèle l’étudiant en 3ème année. Profiter de la présence d’une école ou de commerces de proximité est nécessaire, pour un médecin comme pour n’importe quel professionnel. L’époque de la femme de médecin assurant les tâches de secrétariat est révolue, un généraliste veut vivre dans un secteur où sa femme pourra trouver du travail et où l’ensemble de sa famille pourra évoluer sereinement.» Le commentaire de Daniel Masik renvoie à une criante réalité entraînant la fuite en rangs serrés de nombreux haut-marnais : après plusieurs années d’études, un jeune professionnel aspire à d’autres perspectives que de contempler de vastes étendues boisées avant de se détendre à l’occasion du loto dominical de l’office des aînés et du concert annuel de Frank Michael.
Prééminence du secteur hospitalier
Daniel Masik dénonce également un système de formation axé sur la prééminence du secteur hospitalier. «Il faut prendre le problème à la base, chaque étudiant devrait effectuer un stage chez un médecin généraliste avant de décrocher son diplôme. Des textes imposent cette obligation, mais dans les faits, seuls 50 % des étudiants effectuent ces stages alors qu’ils multiplient les expériences en milieu hospitalier, assure Daniel Masik. Il est urgent d’arrêter de centrer la formation des futurs médecins sur le milieu hospitalier !»
A titre personnel, Daniel Masik ne cache pas son attrait pour l’exercice de la médecine en milieu rural. «Le contact médecin-patient est privilégié, un généraliste a l’occasion de suivre ses patients durant plusieurs décennies pendant qu’un chirurgien passe d’un patient à un autre, souligne le futur médecin. Beaucoup d’étudiants sont à la recherche d’un contact privilégié avec leurs patients, mais ils souhaitent également pouvoir profiter d’un cadre de vie répondant à leurs attentes.»
Trois questions à Nicolas Schuffenecker
Journal de la Haute-Marne : Comment accueillez-vous la proposition de Marisol Touraine ?
Nicolas Schuffenecker (président de l’association des internes des hôpitaux de Dijon) : «Cette proposition est intéressante, elle marque un pas en avant. Lancer une proposition incitative et non coercitive témoigne d’une prise de conscience, mais assurer une rémunération de 4 600 euros ne répond pas au problème dans le sens où les médecins implantés en zone rurale ne rencontrent pas de difficultés financières. Un médecin n’est pas une entité, mais un humain vivant avec femme et enfants. Le médecin attend de profiter d’un minimum de services dans le secteur où il souhaite s’implanter avec sa famille. On demande aux médecins de faire ce que d’autres professionnels ne font pas ! Les secteurs touchés par la désertification médicale voient les étudiants et les jeunes actifs partir vers des zones plus développées, les généralistes et futurs médecins font la même chose, tout simplement.»
JHM : Certains élus aimeraient privilégier des méthodes coercitives afin d’obliger de jeunes médecins à s’implanter en zone rurale. Qu’en pensez-vous ?
N. S. : «Les méthodes coercitives n’ont jamais fonctionné, bien au contraire, il suffit de se référer à l’exemple allemand pour s’en rendre compte. Penser que les médecins sont formés à la charge de l’Etat ne correspond pas à la réalité, de nombreux étudiants en médecine s’endettent pour finir leurs études, d’autres sont obligés de multiplier les petits boulots. L’internat intervient à partir de la septième année d’études, mais un interne perçoit 1 500 euros pour plus de 60 ou 70 heures de travail. Les élus sont confrontés aux déserts médicaux depuis vingt ans, mais cette difficulté les renvoie à leurs actions ! Il est facile de pointer les médecins du doigt, faire face à ses propres actes et aux failles du système l’est beaucoup moins.»
JHM : Le rappel constant au rapport médecine-argent vous agace t-il ?
N. S. : «Ce rapport nous insupporte ! Une partie de l’opinion pense que les médecins sont des bourgeois et des nantis, mais beaucoup de personnes gagnent 6 000 euros par mois sans avoir enchaîné les années d’études. Le but d’un médecin n’est pas de gagner de l’argent, mais d’aider la population. Un généraliste a un Bac + 9, il a passé deux concours et il engage sa responsabilité dans chaque choix médical ! Où est la responsabilité du plombier ou des élus ? Dire que les médecins travaillent uniquement pour l’argent équivaut à dire que les élus s’investissent dans la vie publique uniquement à des fins financières.»