« Un vulgaire carré blanc » censure l’hommage à Nahel
Suite à la mort de Nahel, Loïc Thiery, artiste urbain, a réalisé un graffiti en hommage à l’adolescent, au skate-park Voltaire, vendredi 30 juin. Le lundi suivant, la Ville l’a tout recouvert. Loïc a donc repris ses bombes de peinture pour mettre en lumière la liberté d’expression.
« Un carré, un rond. La liberté d’expression à Chaumont. Merci … » Cette phrase a été signée sur une fresque du skate-park du boulevard Voltaire par le street artiste Sups Oner, de son vrai nom Loïc Thiery. Ces mots font suite au recouvrement par la mairie d’un graffiti qu’il a réalisé en hommage à Nahel, le jeune de 17 ans tué par un policier après un refus d’obtempérer, à Nanterre, mardi 27 juin.
L’œuvre de Sups Oner a été peinte trois jours après le décès de l’adolescent, le vendredi 30 juin, après une semaine chaumontaise plutôt calme. Elle se présentait avec deux pans aux couleurs et styles similaires, avec d’un côté l’inscription « Sups » et de l’autre « Nahel ». Les lettres du prénom de l’adolescent étaient accompagnées d’une auréole sur le « H », ainsi que des mots « justice » et « RIP », acronyme de repose en paix en anglais.
« Le graffiti en hommage à Nahel a été repeint dans la foulée, avec un vulgaire carré blanc. Cela m’a révolté. Je suis dérangé que l’on ne puisse pas s’exprimer à ce niveau-là », se désole Loïc Thiery. Il a trouvé du réconfort en dessinant un rond et un carré accompagnés de la fameuse phrase sur la liberté d’expression, jeudi 3 juillet.
Une symbolique « inappropriée »
Bien que la fresque ait été peinte à la fin de la semaine d’émeutes et sans qu’il n’y en ait eu à Chaumont, la Ville craignait qu’elle favorise l’émergence de violences. « Dans un contexte d’émeutes, on ne pouvait pas laisser s’installer quelque chose qui pouvait être assimilé à ce qui s’est passé à Saint-Dizier et ailleurs en France. Il y a trois semaines, on ne pouvait pas savoir que ça allait rester calme à Chaumont », indique Thierry Alonso, adjoint à la sécurité et à la vie quotidienne.
A ses yeux, il n’y a pas d’entrave à la liberté d’expression. « La liberté d’expression existe à Chaumont comme ailleurs, et elle est respectée. Néanmoins, il est tout à fait inapproprié de faire une fresque avec la symbolique qu’elle dégage à cette période-là. On ne voulait pas que des gens reprennent le slogan et que l’affichage soit détourné au profit de violences. La Ville n’a pas à laisser apposer des inscriptions sur des événements graves », soutient Thierry Alonso. Par ailleurs, il souligne : « la fresque sur la liberté d’expression avec le rond et le carré n’a pas été recouverte ».
Des explications déjà données à Sups Oner, mais l’artiste urbain reste en proie à l’incompréhension. « Le graffiti n’était pas anti-police, c’était un hommage à Nahel. Il n’y avait rien d’offensif, je ne vois pas le caractère agressif. Quand j’ai échangé avec la Ville, elle m’a dit que certains sujets étaient interdits et elle a pris comme exemple la croix gammée. »
Un lieu – censé être – d’expression
L’incompréhension du grapheur est accentuée par le lieu de sa censure. En effet, le skate-park du boulevard Voltaire est censé être un lieu d’expression libre. « En mai, quand on a réalisé une fresque avec Manon Lesprit, il avait été indiqué que ce skate-park était le seul lieu autorisé dans la ville pour pratiquer librement le street art et le graffiti. On s’était dit que c’était officiel, qu’on pouvait venir créer ici. Ce qui est encore plus paradoxal, c’est que j’ai des projets d’art urbain avec la Ville. »
C’est pourquoi, pour sa deuxième fresque, Loïc Thiery a fait le choix d’un style très épuré, avec deux formes géométriques, comme cela pourrait se retrouver dans le graphisme. « L’art de rue à Chaumont est réduit au graphisme, qui est muet avec aucun message derrière. La Ville veut un droit de regard sur tout, mais c’est contraire à l’art de rue. Ce n’est pas une vraie liberté. En dessinant de simples rond et carré, j’ai voulu dénoncer un manque d’ouverture d’esprit. »
Julia Guinamard
j.guinamard@jhm.fr