Violences conjugales, viols : le très long combat de Carla*
Âgée de 31 ans et habitante de Saint-Dizier, Carla* a vécu des années d’enfer avec un ancien conjoint manipulateur, insidieux et très violent. Aujourd’hui, elle raconte son histoire de A à Z, et se bat pour que justice soit faite.
C’est en lisant le témoignage de Mathilde* que Carla* a décidé de franchir le pas et de raconter, elle aussi, son histoire. Aujourd’hui installée à Saint-Dizier, elle partage sa vie avec un homme qui l’aime et la respecte. Tout l’inverse de ce qu’elle a connu pendant de nombreuses années auparavant.
Isolement
Déjà maman de deux enfants, Carla se sépare de son précédent conjoint. Direction Paris, en janvier 2014, où elle rencontre Mehdi*. « C’était clairement mon sauveur à ce moment-là. J’avais besoin d’être aimée. Je me sentais bien, apaisée, en sécurité avec lui », explique la jeune femme qui manquait de confiance en elle. Rapidement, ils s’installent ensemble, dans l’est de la France, et attendent un premier enfant. L’histoire est belle, bien que quelques ombres apparaissent : « J’ai appris qu’il avait une procédure judiciaire avec une ex pour violence et séquestration, mais elle avait essayé de le tuer. J’ai préféré le croire lui. » Par la suite, elle apprendra qu’il travaillait sans papier dans des points clés comme la sécurité d’un Ministère.
Je me suis dit : « Ce soir, je vais mourir »
Le point de départ d’une période de manipulation qui éloignera progressivement la maman de ses proches, pas très fans de sa nouvelle relation. D’abord, le couple déménage à quelques centaines de kilomètres, de quoi isoler Carla qui n’a pas le permis de conduire. La situation se dégrade crescendo : « La première insulte, le premier vase qui vole, le lavage de cerveau permanent… », en dépit de la naissance de leur premier enfant.
Malgré les conseils et l’aide d’une voisine, rien n’y fait, Carla est comme possédée. Infidélités, rabaissements, crises, violence sur elle, puis sur ses enfants, à travers des insultes et des punitions sordides : « J’ai essayé de partir plusieurs fois, pour me protéger et protéger mes enfants. Mais j’ai toujours eu trop peur des représailles… » Terme encore méconnu à l’époque, le viol conjugal fait partie du quotidien, comme les menaces de mort « Je vais te tuer, te massacrer ».
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Alors que leur deuxième enfant est né, le couple retrouve la grande ville, mais les problèmes ne disparaissent pas, au contraire. Un exemple fort illustre l’emprise du conjoint : « En janvier 2019, il a renversé quelqu’un en roulant alcoolisé, et il est parti. Il s’est retrouvé en garde à vue le lendemain. Je suis allée jusqu’à faire un faux-témoignage pour le défendre. » Enceinte pour la troisième fois, Carla vit l’enfer et ne sait pas comment en sortir. Le témoignage de sa voisine est édifiant : « J’ai entendu une scène de dispute et des gros boums dans les murs, il venait de la violenter. J’ai pu constater les bleus sur ses bras. J’ai essayé de la convaincre, mais elle ne voulait pas porter plainte. Je la voyais dépérir à petit feu. »
Combats
Mais en avril 2019, à bout, Carla dit stop. Les problèmes ne s’arrêtent pas pour autant, ni même la fréquentation d’un nouveau compagnon, son actuel mari, « tellement patient, toujours présent pour moi ». En septembre 2019, c’est le summum. Une première confrontation physique le 15, de laquelle Carla ressort blessée avant de déposer plainte, puis une « attaque » dans la rue dix jours plus tard. « Je me suis dit : « Ce soir, je vais mourir » ».
Le début d’un long – et épuisant – combat (lire ci-dessous) pour que justice soit faite, pour elle, pour ses enfants, pour les femmes qui subissent ce qu’elle a subi. Sous antidépresseurs, placée au foyer de SOS Femmes accueil pendant 7 mois (lire ci-dessous), Carla n’a pas fini de faire des cauchemars. Mais petit à petit, elle tente de se reconstruire avec ses cinq enfants et son mari, à Saint-Dizier. Le combat n’est pas fini.
Louis Vanthournout
*Les prénoms ont été modifiés
Sept mois à SOS Femmes accueil
Arrivée avec ses cinq enfants en février 2020 à SOS Femmes accueil (un jour après l’avoir su), Carla se remémore chaque instant : « Quand j’ai découvert le logement, j’en ai pleuré. J’étais surprise d’être en appartement partagé. Je vivais avec une personne… Comment dire… C’était horrible… Elle se déféquait dessus, elle criait la nuit. Je nettoyais son caca, je cuisinais pour elle. Il y avait des cafards », explique-t-elle, photos à l’appui. Outre l’hygiène, Carla dénonce les « blagues » de mauvais goût du directeur, l’ingérence de l’ancienne cheffe de service « alcoolisée en soirée de garde ». En parallèle, elle déplore le non-respect des droits aux soins psychologiques et médicaux. « Si j’allais à l’hôpital, on me menaçait de placer mes enfants. » Des éléments que valide une témoin, présente sur place durant son séjour.
En quittant la structure en septembre 2020, la mère de famille a fait un signalement sur « le non-respect des mentions légales du contrat de séjour, le non-accès à un médiateur et les difficultés pour récupérer une partie du loyer qui est conservé par SOS Femmes accueil ».
Un long chemin
De nombreuses mains courantes et plaintes ont été déposées contre Mehdi et quelques-unes ont abouti. D’abord, le juge des affaires familiales lui a, en décembre 2019, retiré la garde des enfants et condamné à verser à Carla une pension de 300 € par mois qu’elle n’a jamais reçue. En juin 2020, il a été condamné pour les faits de violence de septembre 2019, à « un emprisonnement délictuel de 2 ans, dont six mois assortis d’un sursis probatoire de 3 ans », procès-verbal à l’appui. Il sera incarcéré en août 2020, avant que son appel en octobre ne lui permette de sortir au mois de décembre. « Je l’ai appris par hasard, personne ne m’a prévenue ».
Mais la mère de famille doit s’accrocher sur d’autres dossiers. Une plainte pour viol, déposée en juin 2020 dans les Vosges, « n’a jamais été enregistrée », comme le certifie le document de son avocate. Concernant celle pour violences sur mineurs déposée en décembre 2021, l’enquête est toujours en cours, menée par le commissariat de Saint-Dizier, après six mois d’attente lors desquels les tribunaux haut-marnais et vosgiens se renvoyaient la balle, sans savoir où se trouvait le dossier.
Trois dossiers de la jeune femme ont déjà été classés sans suite pour prescription, non pas des faits, mais à cause des procédures non réalisées dans les temps. Lors des cas précédents, Carla n’a reçu qu’un simple mail, sans réelle explication. Une situation qu’elle ne souhaite pas revivre à nouveau.