Severiano de Heredia : un Obama français à Lafauche
Dans les ruelles de Lafauche se cachent les vestiges insoupçonnés d’un personnage illustre : Severiano de Heredia. L’association Patrimoine et Esprit d’Art s’est plongée dans l’histoire de cet homme politique français, né en 1836, à La Havane, baptisé comme « mulâtre, né libre ».
« Severiano de Heredia est un personnage brillant, intelligent et avant-gardiste. Un très bon orateur qui a su défendre ses idées », glorifie Michel Brunner, vice-président de l’association Patrimoine et Esprit d’Art, située à Lafauche. Bien qu’il ait été le premier ministre noir d’un pays européen et le premier maire de couleur de Paris, Severiano de Heredia reste méconnu. Son rattachement à la Haute-Marne, par le village de Lafauche, l’est d’autant plus. Il a même failli passer aux oubliettes (voir encadré).
« Severiano de Heredia est un personnage qui n’a pas été assez étudié par les historiens », déplore le vice-président de Patrimoine et Esprit d’Art. Homme politique français né en 1936 à La Havane, à Cuba, Severiano de Heredia a soutenu l’émergence d’une école publique et laïque. « Contrairement à Jules Ferry (1832-1893), si souvent cité, il était contre la colonisation », souligne Michel Brunner.
Né quand Cuba était sous domination espagnole, Severiano de Heredia est le fruit d’une infidélité et donc un enfant illégitime. Son père naturel serait son parrain, Ignacio Heredia y Campuzano, un riche avocat, et sa mère une domestique. Il est finalement reconnu à l’état-civil par Henri de Heredia et par Brigitte de Cardenas, des « gens de couleur libres », descendants des colons espagnols. Ainsi, Severiano de Heredia est baptisé comme « mulâtre, né libre ».
Mariage avec une Haut-Marnaise
« Malgré son histoire et son origine aisée, il connaissait la condition des esclaves. Il se savait bien né », indique le vice-président de l’association. D’autant que le fait d’être « mulâtre » lui a attiré des moqueries et il a fait l’objet de discriminations. « On peut dire que les caricaturistes se sont fait plaisir avec son portrait. Je suis certain qu’il a dû en entendre des vertes et des pas mûres », pointe Michel Brunnner.
Son destin croise celui de la France alors qu’il a 10 ans. Son parrain, qui pourrait donc être son père, l’envoie à Paris, où il est scolarisé. Severiano de Heredia étudie au lycée Louis-le-Grand, établissement toujours renommé, qui a notamment accueilli quatre Présidents et neuf Premiers ministre de la Ve république. « Il va devenir un lycéen modèle », indique Michel Brunner.
Les années passent et Severiano de Heredia jouit de la vie parisienne. « Il mène ce qu’on appelle aujourd’hui une vie de pacha. Il a pas mal de conquêtes et de maîtresses », explicite le vice-président. A 27 ans, il épouse Henriette Hanaire, originaire de Lavaux, à deux pas de Lafauche.
Carrière politique
« Severiano de Heredia s’est beaucoup plu ici et a construit une belle maison », explique Michel Brunner. Qui ajoute : « La légende dit que son cousin, le poète José María Heredia, est venu à Lafauche et y a écrit des poèmes ».
En 1866, l’homme entre en maçonnerie à la loge de l’étoile polaire. « Il y fréquente des personnes aux idées nouvelles. C’est un radical progressiste, l’équivalent des socialistes aujourd’hui. Il a déclaré que la franc-maçonnerie l’a amené à la politique », précise le vice-président de Patrimoine et Esprit d’Art. Qui ajoute : « Le franc-maçon en lui avait envie d’une société plus juste et humaine ».
Moins de 10 ans plus tard, en 1879, Severiano de Heredia devient président du conseil municipal, équivalant à la fonction de maire. En 1881, il est élu député. Puis, en 1887, il est nommé ministre des Transports. « Alors qu’on en était encore la machine à charbon, il était intéressé par le moteur électrique », souligne Michel Brunner. Malgré ce parcours, Severiano de Heredia n’a jamais reçu la Légion d’honneur.
Julia Guinamard
j.guinamard@jhm.fr
Severiano de Heredia à Lafauche
« Il y a une quarantaine d’années, personne ne savait que l’histoire de Severiano de Heredia se mêlait à celle de Lafauche, ce petit village de cinquante habitants », explique Michel Brunner, vice-président de Patrimoine et Esprit d’Art, l’association qui assure les visites du château.
Si cette histoire est passée de l’ombre à la lumière, c’est grâce à Roger Adenot, l’ancien président de l’association, décédé le 6 février dernier. « Il a passé des nuits à faire des recherches sur Internet et des journées aux archives départementales. Il a exploré l’histoire de toutes les familles du village », témoigne Claude Adenot, le frère de Roger, actuel président de l’association.
Les trouvailles de Roger Adenot sont mises en valeur dans le musée de l’association, avec quelques panneaux dédiés à l’homme politique. « Il est difficile de lier l’histoire médiévale et celle de Severiano de Heredia, mais ça un reste un plus pour l’association. Quand on fait la visite du château, on raconte aussi son histoire. Cela permet de parler de la IIIe République, une période historiquement riche où l’on bascule dans la modernité », indique Michel Brunner.