L’impossible retour de Michel Serrault dans son village haut-marnais
Pour, en 2005, tourner le film Les enfants du pays à Écot-la-Combe, Michel Serrault séjourne quinze jours au Terminus Reine, à Chaumont. Trois ans plus tôt, dans son n°30 de Dossier 52, le club Mémoires 52 a publié une photo de l’acteur encore adolescent à Graffigny-Chemin. Précisément, celui-ci s’y est alors rendu… avant de tourner les talons.
« Il a frappé à la porte de la maison de mes parents, qui n’étaient pas là. Il a alors filé au cimetière, et la porte n’ouvrait pas. Il est aussitôt reparti ». À François Quentin, fils de Hubert, son ancien « employeur » à Graffigny-Chemin -côté Chemin- l’homme de confiance de Michel Serrault dira combien celui-ci se sentait « tout triste » après son incursion au village. Le comédien, qui tournait alors Les enfants du pays à Écot-la-Combe s’était risqué à tenter de revoir la famille qui l’avait accueillie « deux étés », dans sa ferme de laquelle il avait été « commis » environ 60 ans plus tôt. Redoutait-il d’apprendre la mort d’Hubert Quentin ? Toujours est-il qu’après avoir toqué à sa porte, que personne n’avait ouverte, il avait filé au cimetière. Où, se retrouvant dans l’incapacité d’entrer devant le portail verrouillé, il s’était mis à pester. Sans demander de l’aide… À croire que Michel Serrault préférait précisément ne pas vérifier qu’il était définitivement trop tard pour revoir son ancien « employeur ». Certes, qui entreprend de revenir sur ses pas ne refait pas l’histoire, et, surtout, ne peut prétendre à la revivre à l’identique. À croire que le temps empêche justement tout rembobinage de sa vie : option replay inactive.
« Personne n’a dû faire attention à ce gamin-là »
« Des religieux envoyaient les jeunes de Paris à la campagne pour manger ». C’est ainsi, selon François Quentin, qu’après avoir été, comme ses camarades, « dispersé par l’antenne de Brainville-sur-Meuse, Michel Serrault a atterri chez mon père ». Michel était alors un adolescent. « Dans les 15 ans ? ». Selon le club Mémoires 52, il aurait en réalité été âgé de 13 ans. En tout cas, le souvenir de ses deux passages à Chemin est entretenu dans la famille François. « Michel avait déjà un peu d’humour ». Ses parents le lui auraient aussi décrit comme « parfois capricieux, se vexant, mais avec un bon caractère ». Et « chrétien, sans ostentation ».
Lorsque Michel Serrault tourne Les enfants du pays, toute la Haute-Marne apprend qu’il séjourne au Terminus Reine, une institution. « On m’a dit qu’à Chaumont, il parlait à n’importe qui ». Alors François embarque son fiston et se rend tout à trac à Chaumont pour le voir sur pied. Las, l’acteur est absent.
Bercé dans l’histoire familiale qui entretient la mémoire de deux étés avec un commis devenu un personnage fameux, François a son idée sur le bénéfice que ce dernier en a tiré. « Chez mes parents, il a appris l’atmosphère familiale, l’entraide qui va avec ». Des parents qui, « à chaque fois qu’un film dans lequel Michel Serrault était nommé était programmé à la télévision », bloquaient leur soirée. En revanche, à Graffigny-Chemin, au début de la Seconde guerre mondiale, « personne n’a dû faire attention à ce gamin-là », tranche François. Après tout, ce n’est si fâcheux d’être, avec son épouse, les gardiens d’un jardin secret.
Fabienne Ausserre
f.ausserre@jhm.fr
Le cœur et le ventre parlent
« 700 kg de pommes de terre ». Pour demander le convoyage de ces produits de la terre, Michel Serrault écrit à Hubert Quentin, en 1942. Ce n’est pas son premier courrier, le fils François Quentin a en retrouvé deux autres dans les dossiers de feu son père – 13 septembre, 20 septembre et 20 novembre de cette même année. Il avait promis d’écrire pour donner de ses nouvelles et en prendre, il le fait, et, à le lire, avec plaisir. L’Occupation creuse les estomacs parisiens, plus spécialement. On comprend que les pommes de terre, et dans la quantité souhaitée, ont bien rejoint la capitale.