« L’humanité doit, coûte que coûte, décarboner »
Depuis plus de 40 ans, le célèbre médecin-explorateur Jean-Louis Étienne parcourt et observe la planète ! Avec Polar Pod, son combat pour la protection de la Terre est on-ne-peut-plus d’actualité… Et son regard affûté.
Par Pierre Wadoux (Ouest-France)
Persévérance, votre nouveau navire associé à la station flottante Polar Pod, vient d’être mis à l’eau au Vietnam. C’est la première étape d’un immense projet d’exploration et d’études en mers australes qui commence…
Oui. Persévérance est d’abord un navire qui doit assurer l’avitaillement de la future station d’exploration Polar Pod. Il est à l’eau et, lors d’un premier voyage de 8 000 milles nautiques, a pris la direction de Marseille. Il y embarque du matériel scientifique. Il fera ensuite étape en Bretagne avant de prendre, en septembre, la direction de l’archipel du Spitzberg (au nord de la Norvège). Ce navire a été éco-conçu pour réduire son impact environnemental. Outre les allers et retours réalisés entre le Polar Pod et le continent, Persévérance effectuera de nombreux relevés dans les eaux australes. Il proposera aussi des voyages éthiques engagés pour la préservation des écosystèmes. Nous l’avons équipé de huit cabines confortables. Outre nos missions scientifiques, nous devons en assurer le fonctionnement économique. Ces croisières culturelles et scientifiques, complémentaires à la mission Polar Pod, y contribueront.
Persévérance étant désormais à flot, où en est donc la construction de la station internationale Polar Pod ? Quand sera-t-elle opérationnelle ?
J’ai l’habitude de dire que ce Polar Pod est ma cathédrale… Un projet d’expédition un peu fou, digne de Jules Verne. La première tôle du Polar Pod sera découpée à Concarneau en novembre 2023 par le chantier Piriou qui assemblera la nacelle. C’est elle qui accueillera les scientifiques et le matériel de recherche. Une fois achevée, cette nacelle sera transportée jusqu’à Cape-Town (en Afrique du Sud) où sera construite toute l’infrastructure flottante. Les essais en mer de la station se feront là-bas également. Le Polar Pod sera ensuite officiellement livré à l’association Océan Polaire (reconnue d’intérêt général), que je préside. L’expédition Polar Pod sera opérationnelle en juin 2025.
En quoi ces recherches en eaux australes sont-elles capitales pour les scientifiques ?
À l’autre bout du monde, cet immense océan de tempêtes est encore méconnu. Il est pourtant acteur majeur du climat et réserve de la biodiversité marine. Il absorbe 93 % de l’excès de chaleur. Et il est le récepteur de 30 % du gaz carbonique émis par l’homme ! Pour l’étudier de près, il nous fallait ce vaisseau adapté, qui mesurera l’évolution des échanges entre l’atmosphère et l’océan… Le Polar Pod fera l’acquisition de données sur le long terme qui seront transmises aux chercheurs, océanographes, climatologues, biologistes. 43 institutions scientifiques de 12 pays sont impliquées dans ce projet international !
En quarante ans d’exploration, vous n’avez jamais renoncé, jamais rien lâché… Persévérance, serait-ce un nom qui pourrait vous définir ?
Effectivement, ce nom ne doit rien au hasard ! Il est le symbole d’un engagement de longue haleine. Cette persévérance est un moteur. Elle m’invite, à 76 ans, à continuer… L’humanité doit, coûte que coûte, décarboner pour que la situation environnementale ne vire pas au drame. Je reste confiant. Si nous le voulons : les « 30 Glorieuses » sont devant nous…
Face aux menaces sur l’environnement partout sur la planète, au réchauffement climatique irrémédiablement enclenché, quels messages entendez-vous passer, aujourd’hui, aux nouvelles générations ?
La jeunesse a besoin de rêves, de modèles d’audace, d’engagements incitatifs, de croire en ses ambitions… Et quand elle alerte, elle a raison de le faire ! Il s’agit aussi, à mon sens, d’être efficace chacun dans sa zone d’influence. À mon niveau, l’expédition Polar Pod permettra d’animer en « temps réel » un grand projet pédagogique international en collaboration avec l’Union internationale de conservation de la nature (UICN). Ce projet aura la légitimité du travail de terrain. On peut aujourd’hui, grâce aux technologies numériques, transmettre en direct ce que l’on observe. On le fait déjà via le « PolarPODibus » qui fait le tour des académies avec le concours du ministère de l’Éducation nationale.
J’ai conscience de l’impact de la vie humaine sur notre climat. Mais, ne sommes-nous pas des mutants surdoués ? Nous avons aussi l’intelligence des solutions et la capacité de les mettre en œuvre. La température monte, notre planète est fiévreuse. Les dégâts engendrés seront à la hauteur de la hausse de cette fièvre. Alors, chacun sur cette planète peut œuvrer à sa mesure, selon ses moyens, être l’investisseur de la solution… Sans fatalisme et dans l’enthousiasme !
Jean-Louis Étienne en dix dates
9 décembre 1946 : naissance à Vielmur-sur-Agout (Tarn), près de Castres.
1975 : médecin breveté dans la marine marchande.
1977-78 : médecin sur le voilier Pen Duick 6 d’Eric Tabarly, pour la Course autour du monde.
1983-1985 : candidat spationaute pour le CNES, et fait partie des présélectionnés.
14 mai 1986 : premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire, tirant lui-même son traîneau pendant 63 jours. Fort de cette expérience, il se lance dans plusieurs expéditions.
Juillet 1989 – mars 1990 : avec l’Américain Will Steger de l’expédition internationale Transantarctica, il réussit en traîneaux à chiens la plus longue traversée de l’Antarctique jamais réalisée : 6 300 km.
1991-1992 : à bord du voilier polaire Antarctica qu’il a fait construire (aujourd’hui rebaptisé Tara), il part pour la Patagonie, la Géorgie du Sud et la péninsule Antarctique.
2002 : réalise la Mission Banquise, une dérive de trois mois sur la banquise du pôle Nord, à bord du Polar Observer pour un programme de mesures et d’informations sur le réchauffement climatique.
2005 : dirige une expédition sur l’île Clipperton avec des chercheurs pour réaliser un inventaire de la biodiversité et un état de l’environnement de cet atoll français du Pacifique.
2010 : réussit la première traversée de l’océan Arctique en ballon rozière. Jean-Louis Étienne se pose en Sibérie orientale après un vol en solitaire de 5 j 2 h 15, sur une distance de 3 160 km.