La course folle de l’IA
La perte de contrôle d’un processus est toujours inquiétante. Quand il s’agit de l’intelligence artificielle, l’IA, la menace ébranle notre vision de ce que nous appelons le progrès humain. La science-fiction devient réalité. On entrevoit le début, mais la suite est obscurcie par les supputations et le doute. Ce n’est pas un hasard si Elon Musk et des centaines d’experts plaident pour une suspension, pendant au moins six mois, de la recherche dans ce domaine.
À travers les déclarations et les mises en garde des uns et des autres se profile une crainte majeure : que l’Homme ne contrôle plus sa propre créature. Frankenstein, version GPT. Jusque-là, la puissance des algorithmes au développement plus qu’exponentiel ouvrait la voie à des sauts importants en matière d’innovation. Mais l’impulsion et la décision restaient le privilège de l’Homme. C’est la mise en œuvre qui était accélérée. Un exemple : la fabrication des armes. Il y a quelques mois il fallait attendre quatre ans pour obtenir la livraison d’un canon type Caesar. Aujourd’hui le délai pourrait être réduit à 18 mois.
Avec GPT-4, une nouvelle étape a été franchie : le passage de l’aide à la décision à la décision elle-même. C’est cette évolution et, plus encore, sa vitesse qui font peur. S’y mêlent économie et philosophie. La logique voudrait qu’à très court terme l’intelligence artificielle dicte à l’entreprise, ses stratégies, ses plans de réorganisation, sa gestion des ressources humaines, son marketing. Pour parodier le titre d’un film : quel sera le pilote dans l’avion ?
Des pans entiers de l’économie peuvent disparaître dans cette guerre des deux mondes. Mais, malgré ses avancées époustouflantes, l’intelligence artificielle ne peut pas (encore) tout prévoir. Les ressorts de l’imagination humaine pourraient mettre en échec un système visant à la marginaliser. Nous sommes désormais contraints d’y croire.
Patrice Chabanet