À la recherche de l’homme Gilbert Clerc, effacé par son legs réputé faramineux
Le legs de Gilbert Clerc à Fresnes-sur-Apance (près de Bourbonne-les-Bains), au montant réputé faramineux, reste à réaliser. La justice enquête sur les conditions de la gestion sous tutelle de la fortune de cet entrepreneur du textile, qui a surtout vécu à Langres. De l’argent, de l’argent… mais qui était ce « bienfaiteur » ?
De Gilbert Clerc, on connaît exclusivement les millions d’euros qui intéressent la commune de Fresnes-sur-Apance, et… la justice. La commune, parce qu’elle est aujourd’hui bénéficiaire de la succession de son épouse Edith, qui, au décès de son mari, a hérité de tous ses biens. La justice, parce que les conditions de leur gestion, sous tutelle, lui posent question. Aujourd’hui, la succession reste à réaliser.
L’homme Gilbert Clerc disparaît derrière des chiffres faramineux. Étrangement, à Langres où il a vécu avec son épouse pendant des dizaines d’années, les souvenirs du couple sont chiches.
« Vous savez ce qu’il manque à la jeunesse de maintenant ? C’est une bonne guerre. Voilà ce que ce grand monsieur, qui avait connu la guerre, souhaitait à ma génération… ». Cinquante ans après avoir entendu ces mots, cet habitant de la cité des remparts les entend encore. « Les époux Clerc ne se mélangeaient pas à la vie locale ». C’est tout ce que cet octogénaire, lui aussi Langrois, retient du couple. Et ainsi à l’envi.
Pourtant, au fil des années, Gilbert Clerc a assis sa puissance financière, y compris dans la cité fortifiée, où il est devenu propriétaire de nombreux biens -immeubles et garages ici, immeubles et parkings dans d’autres villes ou hors de France. Mais qui était Gilbert Clerc ? Difficile de s’en faire une idée avant de rencontrer Nadine Valette, qui a été sa locataire 27 ans.
Vingt ans de contentieux
« J’ai tenu « son » magasin rue Jean-Roussat. J’avais acheté le fonds de commerce ». Nadine vend du tissu d’ameublement. Quand les premiers soldeurs apparaissent, elle ajoute un stock de mercerie à son assortiment pour amortir le mauvais coup fait au chiffre d’affaires.
« Initialement, avant d’habiter le grand pavillon promenade Marius Véchambre, Gilbert Clerc habitait ici ». Dans l’immeuble n°5, flanqué d’une porte cochère imposante. « Il y avait un couloir commun à un autre magasin et à quatre appartements, et à une petite maison au fond du jardin ».
En clair, Gilbert Clerc est propriétaire des murs du commerce de Nadine, il est son bailleur. Très vite, un premier contentieux les oppose. Le tribunal donnera raison à la locataire. Et à deux autres reprises. La quatrième fois, elle perdra. À l’entendre, Gilbert Clerc a été le cauchemar de sa vie. « Ça durera 20 ans s’il le faut ! », l’avait-il prévenue. C’est exactement le temps que les batailles juridiques entre la locataire et le bailleur ont pris.
Une nature « économe »
« Il y avait des trous de souris dans le plancher… et des souris en dessous, le lierre traversait le mur… ». Dans le souvenir de Nadine, Gilbert Clerc néglige l’entretien des habitations qu’il loue.
Il se montrerait intrusif, comme un autre témoin le raconte : « mon amie s’est aperçue qu’on entrait chez elle en son absence – elle avait mis des repères pour s’en assurer. Et fini par changer la serrure et poser un verrou ». Celui-ci revoit aussi Gilbert Clerc s’excuser d’avoir « oublié » son chéquier, le jour de l’état des lieux de sortie. Sa caution, son amie ne la récupèrera jamais. Une manie chez cet homme, insiste-t-il.
Le caractère « économe » du bailleur fait l’unanimité dans les mémoires. Nadine Valette soutient d’ailleurs que les artisans l’ont fui peu à peu, évitant que le montant de leur facture ne soulève discussion. « Sa bible, c’était le magazine patrimonial Le Particulier », glisse son époux Michel Valette, que l’intérêt de Gilbert Clerc pour gérer au mieux son argent a marqué. « M. Clerc nous a dit que vous habitiez là ». Le percepteur explique ce jour-là à Nadine pourquoi elle a reçu une taxe d’habitation pour… son magasin. Le bailleur s’est fondé sur la présence d’un évier et d’une plaque chauffante dans un réduit de l’arrière-boutique. La commerçante devra faire valoir au Trésor public qu’elle habite Rolampont avec son époux et ses enfants…
Toutes ces années de tracasseries lui font, au total, dresser un portrait peu amène de Gilbert Clerc. Dont les « longues lettres dans lesquelles il (l)’insulte » la hantent encore.
Fabienne Ausserre
f.ausserre@jhm.fr
Perplexité
« Il naviguait entre Lille, la Belgique et l’Espagne ». Gilbert Clerc a toujours intrigué Nadine Valette. Sa fortune, aussi. Encore aujourd’hui, elle n’arrive pas à croire que sa réussite financière ait exclusivement tenu à son flair en affaires ou à son sens des économies. Qu’il ait eu pour habitude de « débarquer ses rouleaux de tissu à 2 h ou 3 h du matin » alimente son questionnement. Son épouse Édith reste un autre sujet de perplexité. Apparemment inféodée à Gilbert, servant même de petit commissionnaire pour récupérer un loyer impayé l’échéance juste passée, cette petite femme frêle aurait été plusieurs fois vue à se promener à Blanchefontaine, la nuit. De quoi, pour sa part, surenchérir dans l’impression mystérieuse que le couple lui inspirait.
Et la santé d’Édith a chancelé
« Le peu que j’en ai connu, Gilbert Clerc était un bourgeois. Avec ses qualités et ses défauts de bourgeois. Il était très, très aimable ». Dans la mémoire de Marcel, qui a été ami avec Maguy Danner, une autre locataire de l’entrepreneur du textile, le souvenir d’Edith est marqué par la « discrétion ». Extrême, à l’entendre. « C’était lui qui parlait. » La santé de la femme de Gilbert va se dégrader. « Elle avait un peu perdu la tête à la fin. Quand on la croisait dans la rue, elle ne savait plus très bien qui nous étions. » À cette époque que Marcel peine à préciser exactement – « 2010 ? 2012 ? » – Édith « ne conduisait plus car elle ne voyait plus clair, c’est Maguy qui lui faisait ses courses ». En mai 2013, Édith signait un mandat de protection future qui prévoyait de confier à un tiers le soin de gérer ses biens, ce qui a été fait début janvier 2016.