Un exploit de la Résistance à Saint-Dizier

HISTOIRE. En avril 1942, les résistants Pierre Johnson et Pierre Vesselle, membres d’un réseau animé par des militaires, réalisaient le vol hardi d’un important document de la police allemande.

Les actions de résistance réalisées par des militaires et fonctionnaires du « gouvernement de Vichy » ont souvent été reléguées au second plan par les responsables gaullistes ou communistes, parce que ces femmes et ces hommes qui ont œuvré contre l’occupant étaient liés par un serment de fidélité au maréchal Pétain. C’est pourtant grâce à eux qu’a été mis en place, dès 1941, un des premiers réseaux de renseignement opérant en Haute-Marne : Kléber.

Créé par des officiers d’active en poste à Vichy, le SR Kléber était bien implanté en zone occupée. Le chef d’un des sous-secteurs était basé à Chaumont, le capitaine de réserve Marcel Choupot. Il devait quitter la Haute-Marne à la fin de l’année 1941. Son successeur : un sous-officier dont la famille est d’origine américaine, Pierre Johnson, évadé d’un camp de prisonniers.

Agent immobilier

En arrivant à Chaumont, Johnson peut compter sur la complicité du commissaire de police Armand Charrié, lequel était entré en contact, à son arrivée en Haute-Marne, avec le commandant de gendarmerie Georges Delmas, lui-même grand résistant. C’est Charrié qui établit à Pierre Johnson une fausse carte d’identité au nom de Pierre Jouffroy. Sa couverture : agent immobilier au 5, boulevard Thiers.

Depuis sa base de Chaumont, Johnson/Jouffroy va réaliser un des plus grands exploits de la Résistance en 1942. Ses chefs de Vichy lui avaient en effet demandé d’essayer de mettre la main sur le « Livre des suspects », un document interne de la police allemande recensant plus de 7 000 noms de résistants européens à rechercher activement.

Microfilmé au Portugal

Durant tout le premier trimestre 1942, Pierre Johnson a cherché un moyen de récupérer ce dangereux document. En vain. La lumière est venue en avril 1942 de Saint-Dizier, par l’intermédiaire d’un de ses contacts, le docteur Pierre Vesselle. Par un message anodin, le médecin bragard l’a informé de la présence du fameux livre dans un appartement que les autorités allemandes louaient à sa tante. Aussitôt, Johnson quitte Chaumont pour Saint-Dizier, se fait passer pour un cousin des Vesselle et, sous prétexte d’un état des lieux, parvient à récupérer le document laissé sur une table. Johnson et Vesselle le ramènent aussitôt à Chaumont. Puis il est acheminé jusqu’aux services de Vichy, pour être microfilmé au Portugal et transmis à Londres. Stupeur pour Johnson : son nom figure parmi les 7 000 « suspects ».

Arrestations

Pour le résistant âgé de 38 ans, la carrière clandestine prend soudainement fin en janvier 1943 : dénoncé par son successeur, il est arrêté à Epernay par la police allemande. La même source donne les noms de Charrié et du garde forestier Roger Perrin, qui sont arrêtés le 16 janvier 1943, le premier à Chaumont, le second à Dampierre.

En dépit des interrogatoires musclés, le commissaire Charrié sera finalement libéré en février 1944. Mais Johnson et Perrin seront déportés. Le garde forestier haut-marnais ne reviendra pas d’Allemagne. Pierre Johnson est décédé en 1996. Sa fille lui rendra hommage dans un ouvrage intitulé « Matricule 185 785« .

Lionel Fontaine