Rémi, déficient visuel, a un compagnon sûr : son ordinateur

Le monde du travail n’a pas voulu de Rémi, déficient visuel de naissance, presqu’aveugle. Rémi doit bâtir sa vie à Baissey, village sans réseau mobile, à une vingtaine de kilomètres au sud de Langres, qu’il quitte donc peu. Son quotidien s’est adouci quand il a acquis un ordinateur.

« Une rubéole mal soignée ». Et Rémi est né déficient visuel, quasiment aveugle. Après une scolarité dans des établissements dédiés à son handicap -7 ans à Sainte-Odile (nom de l’époque) à Besançon et 2 à Santifontaine à Nancy- Rémi réussit le concours d’agent de transmission, en 1986. « Rémi était premier sur la liste des emplois réservés en Haute-Marne ». Aussi demande-t-on à sa mère de cesser de téléphoner pour savoir si son fils va bientôt avoir un emploi. « Vous n’avez plus qu’à patienter ». Pourtant, les années défilent sans qu’il ne se passe rien. « L’administration devait l’employer mais finalement, elle n’a plus embauché ». Rémi toque à la porte du secteur privé. Un établissement de la grande distribution le reçoit. « Il devait embaucher à 5h du matin pour ranger des boîtes de conserve dans des rayons… ». Naturellement, c’est mission impossible pour Rémi.

« À l’affût »

« Un jour, mes cousins m’ont incité à acheter un ordinateur ». Ce jour-là intervient… en 2006. Rémi suit ce conseil. « Petit à petit, j’ai cherché comment l’utiliser ». Le quadragénaire y est bien obligé. « J’ai appris par moi-même car on ne pouvait pas me montrer ».  Commence la période de « l’affût ». Rémi va équiper son ordinateur d’un assistant vocal pour naviguer sur le web et d’un logiciel de lecture vocale puisque les livres sont sa grande passion. Son quotidien va peu à peu s’adoucir, au fur-et-à-mesure de l’accroissement de sa dextérité. Son univers s’agrandit, c’est une bouffée d’air salvatrice. Rémi a son ordinateur bien en main, il en tire tous les bénéfices possibles. Sans mesurer le prix à payer. Il n’y a qu’à le voir naviguer sur le web pour constater qu’il faudrait tout retourner pour trouver des internautes qui évoluent dans un environnement aussi inconfortable.

Canne blanche virtuelle

 « Je ne me promène pas sur le web, j’ai toujours une destination ». La prudence de Rémi lui sert de canne blanche virtuelle. Il fuit les réseaux sociaux, dont il redoute la rapidité et la méchanceté. Déplore les limites d’un de ses navigateurs, qui « ne parle pas ». Se cogne aux « cadenas, logos, QR codes » des sites de l’administration, qui « ne peuvent pas être parlés », sans jamais se fâcher. « C’est pas évident » (sic). C’est tout son commentaire. Il cite en exemple le remplissage en ligne de sa déclaration d’impôts. Pareillement et dans un tout autre registre, « les vidéos, c’est pas facile » (sic), non plus. Après avoir testé les plates-formes, il a arrêté que « c’est d’abord graphique ». Donc inadapté à ses yeux si faibles : dans l’univers de Rémi, tous les objets parlent -le thermomètre, sa montre… – et tant pis pour leur voix mécanique, dénuée d’intonation, vidée de chaleur. Il se concentre sur ce que son ordinateur lui apporte : « lire », avant tout, par-dessus tout. Et Rémi a un appétit d’ogre : les océans, la photographie, les sciences, l’histoire… Il dévore des livres avec sa « machine à lire ». Il est aussi abonné à un magazine mensuel. C’est un accro de la météo. « Parce que c’est scientifique… et que ça nous préoccupe tous ». Ou comment glisser qu’on a les deux pieds dans la vie en commun.

Fabienne Ausserre

f.ausserre@jhm.fr