Régulation du grand cormoran : les pêcheurs en colère contre l’Administration
Entre les pêcheurs et le cormoran, cela n’a jamais été une folle passion. Mais le non-renouvellement des arrêtés permettant la régulation de cette espèce pisicivore en nette progression a mis le feu aux poudres.
Une consultation publique au sujet du grand cormoran avait mobilisé les pêcheurs en nombre jusqu’à la mi-août. Et, coup de tonnerre sur l’eau, il y a quelques jours, le gouvernement n’a pas reconduit les autorisations de tirs de régulation du grand cormoran sur les eaux libres pour la période 2022-2025.
» On a pris une grande claque derrière la tête, alors que la Haute-Marne a toujours été dans la transparence et le respect des quotas » fulmine Michel Rémond, le président de la Fédération départementale de pêche. » Quinze recours de la LPO ont abouti sur 97 arrêtés départementaux. Le ministère n’a pas eu le courage de sortir les arrêtés. C’est une attaque par non-réponse et par manque de courage de l’Administration « .
« Que l’Administration se débrouille »
Michel Rémond se fait le porte-parole à la fois des pêcheurs haut-marnais et le la Fédération nationale dont il est membre. » Pour la Haute-Marne, les quotas pour les trois prochaines années permettent le tir de 90 cormorans par an pour les piscicultures et étangs d’élevage, et rien pour les eaux libres (rivières, lacs…), au lieu de 290 par an auparavant. Ce n’est pas normal qu’on ne puisse plus rien tirer alors que la progression des effectifs du cormoran est chiffrée, documentée. Dans ces conditions, il ne faudra pas compter sur la Fédération de pêche pour faire remonter les chiffres de tir des piscicultures. Que l’Administration se débrouille toute seule. «
Les analyses des contenus stomacaux des cormorans « régulés » ont montré qu’ils consomment un certain nombre de poissons d’espèces sensibles comme le brochet par exemple. « On essaie de protéger les brochets comme d’autres espèces de poissons en menant des actions de réhabilitation des milieux. Les pêcheurs participent avec leurs deniers à la restauration et à la préservation des rivières et des plans d’eau. Il ne faut pas privilégier qu’une seule partie de la biodiversité. Les poissons ne sont pas moins nobles, même si ils sont plus difficiles à observer que les oiseaux. » estime Michel Rémond.
Agir d’abord au plan financier
Parmi les actions menées ou envisagées au niveau de la Fédération nationale pour la pêche en France, c’est d’abord sur le levier financier que les pêcheurs comptent agir. Ainsi, la Redevance Milieux aquatiques (RMA), incluse dans le prix de la carte de pêche, est collectée par les AAPPMA (Associations agréées pour la pêche et la protection du milieu aquatique) et fédérations de pêche pour le compte de l’Etat. C’est d’ailleurs en partie pour cette raison que le trésorier et le président des AAPPMA sont agréées par l’administration préfectorale. Cette RMA sert à financer en partie les Agences de l’Eau. » Nous allons placer sur un compte dédié cette Redevance et on ne la versera pas. Cela représente au plan national environ 8 millions d’euros » indique Michel Rémond. » On peut aussi ne plus verser les loyers des baux de pêche du domaine public », comme le canal ou les lacs par exemple. » On verra au plan national quelles autres actions seront menées. Les représentants de la FNPF ont demandé une entrevue au président Macron, on attend le résultat. «
Le monde de la pêche « pèse » si l’on peut dire, 1 500 000 pêcheurs en France et 10 722 en Haute-Marne. Des pêcheurs dont les représentants se disent déçus. « On prend cela comme une trahison du monde de la pêche, malheureusement habitué aux coups de poignard dans le dos. »
Jean-Noël Deprez
Un prédateur efficace
Selon les données scientifiques, un cormoran mange environ 400 g de poisson par jour. Par exemple, au lac du Der, avec une estimation basse de 12 000 cormorans présents en hiver, c’est entre quatre et cinq tonnes de poissons qu’ils ingurgitent quotidiennement, selon les chiffres avancés par les pêcheurs. L’espèce est en progression en France de 16 % depuis 2018. La sédentarisation de cet oiseau, normalement migrateur, est estimée à environ 20 % des individus. Le rapport national recensant les oiseaux nicheurs fait état pour le lac du Der de 274 couples en 2021 au lieu de 186 lors du recensement précédent.
En Haute-Marne, pour 2021, c’est une population estimée à 355 individus hivernants (hors lac du Der, compté dans la Marne) qui est comptabilisée, sur six dortoirs principaux, sachant que les oiseaux s’éloignent parfois fort loin de celui-ci pour trouver le poisson dans les rivières, lacs, étangs ou canaux, suivant la température et le gel des surfaces.