Batte de base-ball, barre de fer, lame… la rivalité ancienne coûte jusqu’à 3 ans ferme
Impressionnant dispositif de policiers vendredi 5 août pour l’audience de jugement des quatre protagonistes de violences, y compris en réunion et armées, au tribunal judiciaire de Chaumont. Pendant les deux derniers jours de juillet, Chevillon avait été le théâtre du retour d’une haine recuite entre deux familles.
« Il paraît que tu racontes partout que tu veux me défoncer la g… ». À force d’entendre courir ce bruit, Dimitri J. a trop les nerfs en pelote pour ne pas se renseigner auprès d’Elliott, auquel la funeste intention est prêtée. L’échange entre les jeunes gens démarre sur les chapeaux de roue, ce samedi 30 juillet, à Chevillon. Le père d’Elliott se retrouve impliqué. « Sans mon fils, j’aurais pris un coup de couteau dans le dos » : à la barre du tribunal judiciaire de Chaumont, sa voix résonne, l’homme s’anime fort. « Quand (Dimitri) a sorti le couteau, je suis allé chercher le bâton dans mon garage ». Celui qu’il accuse est resté dans le box des accusés avec son frère David. Comme leurs deux homologues, les frères ont été extraits de leurs cellules pour leur jugement. « Si j’avais voulu le planter, je l’aurais planté » indique-t-il à la présidente Louise Lena. Elliott charge pour sa part son frère David. « Il a été trop spectateur, ça lui plaisait bien ». L’intéressé s’insurge : leurs histoires, « ça ne (le) regarde pas ». Au demeurant, il n’est pas poursuivi pour les faits du 30 juillet.
Un contentieux ancien
« Apprenant ce qu’il s’est passé le samedi, Tommy C. entend se venger le lendemain (dimanche 31 juillet) ». Avec Elliott, ils vont au domicile du père de Dimitri et David, qui leur indique où est Dimitri… puis prévient ses fistons. Tommy a une barre de fer… et il s’en sert, Elliott a une batte de base-ball… et Dimitri dégaine une lame, tandis que David a une barre de fer. Un témoin prend un coup au passage… Les deux justiciers s’enfuient, poursuivis parce ceux qu’ils étaient allés trouver. « Mon frère David a pris un coup de barre de fer dans la hanche » : Dimitri tient à le dire haut et fort à la présidente Lena. Un prêté pour un rendu, lui rétorque Tommy. Le substitut du procureur Alexandre Djindian s’interroge : pourquoi Dimitri et David étaient-ils eux aussi armés ? « Ces armes étaient dans la voiture (d’un témoin), elles ne sont pas à moi ». La présidente Lena souligne la longueur de la lame, « tellement impressionnante »… que Dimitri s’est coupé. Défenseur de Tommy, Me Renaud Tribolet se tourne vers Dimitri pour exhumer une affaire ancienne, et jugée, oui, entendu. N’empêche, le conseil rappelle que ce dernier a été condamné pour avoir donné un coup de marteau sur la tête d’un oncle d’Elliott et Tommy. Et d’ajouter ce que son client et son frère ont retenu : sa grande violence. Dimitri se souvient parfaitement de cette affaire : « c’est une histoire d’il y a 8 ans ». Si, en convoquant le passé, Me Tribolet veut pointer la terreur que Dimitri inspire, il souligne également qu’un contentieux sévère existe entre les deux fratries, avant d’arrêter qu’elle « explique » les faits de juillet 2022.
« Je sors de prison, et puis paf »
« Je sors, et puis paf ». Dimitri fulmine, le revoilà en prison dont il est sorti « il y a quatre mois ». En détention, il a travaillé ; aujourd’hui, il est intérimaire régulier ; de l’alcool, il en consomme exclusivement le week-end -de la bière- ; mis « un ou deux joints » à part, le cannabis, c’est fini ; il ne touche plus à l’héroïne ; son « hyperactivité », des neuroleptiques l’aident à la contenir. Ce qu’il pense de tout ça ? Il le dit tout net à la présidente Louise Lena : « je suis dégoûté ». Un assesseur relève que, par deux fois, il a manqué un aménagement de sa dernière peine à cause d’altercations. Et puis il y ce casier judiciaire, noirci de 21 mentions. Celui de son frère David en a six. « J’ai voulu m’imposer pour dire qu’il ne fallait pas toucher à la famille, tout simplement ». C’est dire que Tommy, 8 mentions au casier judiciaire, nie avoir entrepris une expédition punitive, le dimanche 31 juillet. En revanche, oui, il était très alcoolisé. Son frère cadet Elliott, 3 mentions au casier, défend la même thèse : il a accompagné son frère barre de fer en main, « mais pas pour en découdre ».
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« La loi du talion a prévalu »
« Ces faits ont eu un retentissement sur le territoire de Joinville, qui fait régulièrement l’objet de ce type de violences. Heureusement que les gendarmes sont vite intervenus ». Dans son réquisitoire, le substitut du procureur Alexandre Djindian souligne que les frères Elliott et Tommy placent la loi du talion au-dessus de la loi de la république. Pourquoi, le 31 juillet, Elliott a-t-il suivi la folie vengeresse de son aîné, batte de base-ball en main ? Avant de réclamer une peine de 10 mois de prison avec sursis probatoire de 2 ans. À l’encontre de David, qui a revu ses déclarations à la baisse au regard de « la pression » de son frère Dimitri, qui est impliqué dans les faits du 30 et du 31 juillet, qui « n’émet pas plus de regret » que les autres protagonistes, qui a toutefois aussi le statut de victime, le ministère public requiert 16 mois de prison dont 4 mois avec sursis probatoire de 2 ans, en demandant un aménagement de peine pour l’année ferme. De Tommy, qui « voit rouge » le 31 juillet, au point de « taper » au passage avec un pied de biche sur le capot d’une voiture, le magistrat retient qu’il est l’instigateur de l’expédition du 31 juillet, qu’il a préméditée. Et demande une peine 18 mois de prison dont 4 mois avec sursis probatoire de 2 ans, avec aménagement de peine pour la partie ferme. Au sujet de Dimitri, qui estime que c’est « sa fierté qui est en jeu », dont le profil est « très inquiétant », qui est sorti de prison « très récemment » et où ça ne s’est pas passé au mieux, qui a un casier chargé, Alexandre Djindian insiste : « plutôt que de laisser tomber, il va au contact, sans hésiter à sortir une arme pour défendre son honneur »… De quoi arrêter qu’il risque de recommencer. Total : ce sont 36 mois de prison dont 6 mois avec sursis renforcé que le magistrat requiert.
« La lame qui brille »
« David, ce n’est pas le mauvais garçon. S’il avait une barre de fer, il ne s’en est pas servi… mais il a pris des coups ! Et il prend 16 mois ? ». Son conseil Me Claudy Grosjean s’étrangle. Son homologue Me Renaud Tribolet, qui défend Tommy, tente de convaincre le tribunal que « ce n’est pas un coup de barre de fer dans la hanche qui aurait pu faire basculer la rixe dans le drame ». Qu’on se souvienne que « la lame qui brille ne peut pas aider » à la retenue. Le 31 juillet, son client était animé par « une dynamique de construction, pas de destruction ». S’il décide de l’expédition du 31 juillet, c’est tout de même « celui qui sort de prison (Dimitri) qui vient chercher les problèmes ». En réalité, poursuit l’avocat, c’est « le grand frère » qui, apprenant ce qu’il s’est passé la veille vient « faire un coup de force » pour faire savoir qu’ « on ne peut plus se laisser faire ». D’ailleurs, « au finish, il déforme… un capot de voiture ». Il aurait en somme été pure folie que d’arriver les mains vides, en sachant que « la plupart du temps, Dimitri est armé ». Au tour de Me Roland Aïdan de défendre Elliott. « Le 30 juillet, il passe chez son père, et c’est Dimitri qui vient le chercher. Le lendemain, il tente de décourager Tommy d’aller se venger, en vain, et le petit frère obéit au grand ». Ces deux-là « courent beaucoup, mais ne frappent quasiment jamais ». Ulcérée, Me Geneviève Lalloz est ulcérée : à croire que les frères Elliott et Tommy « ne sont que des gentils », et son client Dimitri ayant un casier rebondi, « allons-y ! ». Personne ne s’est donné la peine de vérifier, comme Dimitri le martèle, qu’Elliott « disait partout dans le village depuis des semaines » qu’il allait « lui casser la g… Tout le monde s’en fout car c’est Dimitri ». Et puis, « elles sont où les marques de coups de poing au visage » dont Elliott soutient avoir été victime ? « Tommy a le droit d’aller régler ses comptes, Dimitri, il n’a pas le droit de bouger ». Ultime déclaration de son client, avant que le tribunal se retire délibérer : « moi, je suis en prison ; eux, ils n’ont rien, c’est pas normal ».
Le tribunal a condamné Elliott à 12 mois de prison assortis d’un sursis probatoire de 2 ans ; David J. à 16 mois de prison dont 10 mois avec sursis -il reviendra au juge d’application des peines d’apprécier l’opportunité d’un aménagement de la partie ferme ; Tommy à 16 mois de prison dont 12 mois avec sursis, sans aménagement possible de la part ferme ; Dimitri J. à 3 ans de prison ferme. L’audience du 3 octobre prochain se penchera sur les intérêts civils de cette affaire.
Fabienne Ausserre
f.ausserre@jhm.fr