Sa tombe est en Haute-Marne, il repose en indigent… ailleurs
Imbroglio. Louis Bernier s’est éteint dans une maison de retraite à Lamarche, dans les Vosges, en décembre 2019. Il a été enterré dans le carré des indigents du cimetière communal. Sa nièce n’a de cesse de chercher à rapatrier son corps à Fresnes-sur-Apance, où son oncle avait une concession et où sa pierre tombale était posée. Et a porté plainte.
« On m’avait dit que Louis Bernier n’avait pas de famille… ». Alors le maire de Lamarche (Vosges) Daniel Vagné réserve une place au défunt dans le carré des indigents du cimetière de la commune. « C’est longtemps après son inhumation que ses héritiers m’ont appris qu’il avait une concession et un monument à Fresnes-sur-Apance. Ils projetaient d’engager une procédure avec le maire de l’époque Jean-Marie Thiebaut ». C’est sa seule nièce Jeannine Bernier qui l’engage, animée par l’espoir qu’ « un jour », feu son oncle « repose près de sa mère ».
« Mon oncle faisait partie du paysage »
« Chaque fois que je passais devant chez lui, je m’arrêtais pour saluer mon oncle ». Jeannine maintient le lien, quoiqu’elle ait quitté Fresnes depuis ses 16 ans. Elle habitera ensuite bien loin du village, y revenant toutefois régulièrement. « Louis Bernier y a toujours travaillé ». Chez des employeurs bien identifiés, d’ailleurs. Ici, l’ouvrier agricole « faisait partie du paysage ». La distance géographique qui sépare peu à peu oncle et nièce fait son œuvre. Jeannine convient qu’elle « ne l’avait pas vu depuis longtemps quand il a fait un malaise ». On lui rapportera « plusieurs mois plus tard » que les sapeurs-pompiers lui ont porté secours. Qu’il « est entré en maison de retraite ». À Lamarche, à proximité de Fresnes, mais dans les Vosges. « C’est naturel, il y a toujours de la place là-bas ». Ce sont « des habitants de Lamarche » qui l’ont renseignée. La santé de Louis va vaciller, et après un séjour à Mirecourt, il revient à l’EHPAD de Lamarche. « Il est alors au plus mal ». C’est encore par la bande que Jeannine apprend son décès, survenu le 20 décembre 1019… et son enterrement, le 23. Toujours à Lamarche… dans le carré des indigents.
« Mon oncle était considéré… sans famille »
« Je suis aussitôt allée dans le cimetière de Fresnes-sur-Apance ». Abasourdie, Jeannine veut vérifier que sa mémoire ne lui joue pas des tours. Non, la pierre tombale de son oncle est en effet ici, « il n’y avait plus que l’année de son décès à inscrire ». Jeannine demande son contrat de concession, « faisant des pieds et des mains pour l’obtenir ». Se rapproche de la maison de retraite pour comprendre pourquoi son parent défunt n’a pas été rapatrié à Fresnes. « On m’a dit que Louis était « sans famille ». On s’est excusé… ». Multiplie les courriers recommandés, y compris à l’association tutélaire des Vosges (ATV). Et l’heure de la succession sonne. « Mon oncle avait deux assurances-vie, dont une au bénéfice de la famille ». Or, la liquidation de celle-ci semble complexe.
« Mon oncle était considéré… sans domicile »
« En août 2021, une société parisienne qui recherche des héritiers m’a téléphoné ». Jeannine s’étonne : elle reste propriétaire à Fresnes, où elle est connue. Elle s’interroge aussi sur le moyen dont la société a eu son numéro de mobile, qu’elle laisse d’ailleurs maintenant sonner quand elle insiste pour la joindre. « Celle-ci m’a ensuite adressé un mail fin janvier 2022, évoquant les termes d’un contrat qui précise leur rémunération : un forfait auquel s’ajoute une commission d’environ 40% sur l’héritage ». À ces généalogistes, qui agissent sur mandat d’un notaire en charge d’une succession, Jeannine répond qu’ils se sont donné bien peu de mal pour la trouver. Surtout, qu’elle ne leur « a rien demandé ». De plus, le sien, à Bourbonne-les-Bains, est en charge de la succession de sa mère. Pas de quoi décourager l’entreprise, qui lui réexpédie un mail en mars 2022 -impossible la première fois d’ouvrir le fameux contrat. Faute de signature, Jeannine va « bloquer la succession ». Héritage qui exclut en tout cas la maison de son oncle : la commune l’a achetée – le notaire bourbonnais en charge de la succession de sa mère a régularisé la transaction en mai 2018. L’ATV lui fait aussi savoir que Louis lui avait été signalé « sans domicile ». Sa nièce ne comprend décidément pas comment son parent, parfaitement identifié en Haute-Marne, est devenu totalement invisible dans les Vosges, au point que sa sépulture ait été oubliée… jusqu’au bout. Sa nièce a déposé plainte mi-février 2020 contre l’ATV et l’ancien maire Jean-Marie Thiebaut pour non-respect d’une personne majeure mise sous tutelle. Mi-janvier 2021, l’enquête se poursuivait. « Je ne signerai ni assurance-vie, ni succession tant que le corps de mon oncle ne sera pas rapatrié au cimetière de Fresnes-sur-Apance ».
Fabienne Ausserre
f.ausserre@jhm.fr