Forcené de Prauthoy : « Une énigme »
Le 4 avril, à Prauthoy, hors de contrôle, un jeune homme ouvrait le feu en direction des gendarmes après avoir abattu chien et chat et mis à sac le logement où il était hébergé. La violence des faits interroge. La personnalité du prévenu également.
Qu’a-t-il bien pu lui passer par la tête ? Tout débute par le coup de fil, en milieu d’après-midi, d’un fils à sa mère. « Je suis à bout, je vais tirer sur la première personne qui passe ». Les gendarmes sont immédiatement prévenus. A leur arrivée sur les lieux, les hommes en bleu font face à un forcené retranché au domicile de son père. Agé de 20 ans, Damien A. est hors de contrôle. Le jeune homme a dévasté l’appartement. Plus inquiétant. Armé d’un fusil et d’une carabine, le forcené a tué chien et chat avant de jeter les cadavres des animaux par la fenêtre. Plus inquiétant encore. Des coups de feu sont tirés en direction des gendarmes. Un projectile a échoué « à trois ou quatre mètres » de l’un d’eux. Une balle a par ailleurs traversé la porte d’entrée du logement d’une mère de famille, heureusement absente, au moment du tir. Au terme de rapides négociations menées par des professionnels du Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), le forcené, jusqu’alors inconnu de la justice, finira par se rendre, en début de soirée, après avoir tiré « une vingtaine » de coups de feu et semé la panique dans la paisible commune de Prauthoy.
Souvenirs partiels
Le 4 avril au soir, Denis Devallois, procureur de la République, annonçait une hospitalisation d’office du mis en cause. Six semaines plus tard, placé en détention provisoire au terme d’une semaine d’hospitalisation en milieu psychiatrique, Damien A. est là, en chair et en os, à la barre du tribunal correctionnel, face à ses juges. Les souvenirs du prévenu sont partiels. « J’ai peu de souvenirs, juste des flashs. Je me souviens avoir joué à la console et avoir bu. Je me souviens également avoir tiré sur mon chien. Je ne comprends pas, je cherche des réponses ». Au-delà des éléments, contestés, avancés par un expert psychiatre (lire par ailleurs), des débuts de réponses quant à ce soudain et violent passage à l’acte peuvent émerger du passé du prévenu. « Moqué à l’école », « battu par son père », un temps placé en famille d’accueil, mais ça se passait mal, « le père de cette famille avait un comportement bizarre avec moi, je ne préfère pas entrer dans les détails », Damien A. s’est retrouvé à la rue à l’âge de 16 ans. « J’ai vécu seul, dans une tente, près d’un canal, puis je suis parti en Italie, je vivais seul, dans les bois ». En errance, le prévenu a trouvé alcool, cannabis et cocaïne pour compagnons de route. La vie semblait pourtant enfin sourire au prévenu. Damien A. était hébergé chez son père « depuis quinze jours ». Une éclaircie. Alors, pourquoi ? « Je suis choqué par moi-même, je n’ai jamais été violent, je ne comprends pas ».
« Insondable »
Au fil des débats, le prévenu aura pris conscience du traumatisme des parties civiles. « Monsieur a tiré depuis son palier sur la porte d’entrée du logement d’une femme qui venait heureusement de partir chercher son enfant au collège, la balle a transpercé la porte, nous avons échappé à un véritable carnage. (…) L’enfant de cette femme sursaute dès qu’il entend du bruit, cette famille souhaite déménager », tonna Me Alfonso. « Il aurait pu avoir cinq morts, cet homme est insondable, il reste taisant et se cache derrière des réponses faciles. (…) Son parcours de vie, ça n’explique rien, ça abîme un homme c’est certain, mais sa situation tendait à s’améliorer avant que toutes les digues ne cèdent. Cet homme autocentré est une énigme », poursuivit Me Bonnat avant de faire état du stress post-traumatique enduré par cinq gendarmes. « Je n’ai pas l’impression que monsieur prenne véritablement conscience de la gravité de ses actes, de cette violence aveugle. Monsieur a tiré en direction de gendarmes, des animaux ont été tués et jetés par la fenêtre », enchaîna le procureur Candar. Me Lalloz répliqua (lire par ailleurs).
Décision ? Quatre ans de prison dont 24 mois assortis d’un sursis probatoire renforcé comportant obligation de soins et interdiction de paraître en Haute-Marne. Maintenu en détention, visé par une interdiction de détenir un animal d’une durée de dix ans, appelé à réparer des dommages matériels à hauteur de 11 572 euros, Damien A. devra, en outre, indemniser les préjudices de cinq gendarmes à hauteur globale de 14 500 euros.
T. Bo.
« Aucun mort, aucun blessé »
« Tout le monde lui tombe dessus, oui, la gravité des faits interroge, mais au final, il n’y a aucun mort, aucun blessé. Les gendarmes ont été mobilisés, ils ont fait leur travail avec application et sérieux et tout est rentré dans l’ordre, monsieur est sorti de chez lui et s’est rendu », aura rappelé Me Lalloz, au nom du prévenu. Damien A. aurait tenté de tuer des gendarmes ? Le prévenu n’est pas poursuivi pour tentative de meurtre. Des poursuites pour violence ont été engagées à son encontre. « Monsieur ne voulait pas tuer des gendarmes. On nous explique qu’il y aurait pu avoir cinq morts, mais des morts, il n’y en a pas et personne n’est blessé ! »
Le prévenu aurait pleinement pris conscience de la gravité de ses actes. « Il s’est excusé dès le départ, oui, il ne se souvient pas, mais n’aurait-il pas le droit de ne pas se souvenir ? (…) On nous explique que le parcours de vie de monsieur n’a aucun lien avec les faits, que tout allait mieux, qu’il était chez son père, en sécurité, mais la cocaïne et le cannabis qu’il a consommé, c’est son père qui a tout acheté, mais oui, forcément, monsieur allait mieux, il était protégé par son père ! Monsieur ne se réfugie pas derrière son enfance, on lui demande d’en parler, alors il en parle, que ça plaise ou non, monsieur paie la note de son éducation », tonna Me Lalloz avant de s’étonner des demandes formulées par cinq gendarmes. « Un gendarme fait état d’un traumatisme sonore et sollicite plusieurs milliers d’euros. Un autre sollicite 3 000 euros alors qu’il explique dans une audition avoir bien dormi et ne pas être choqué. Ces sommes, 6 000 euros, 5 000, 3 000 me paraissent coquettes parce qu’elles sont excessives ! »
Altération du discernement ?
Le diagnostic d’un expert psychiatre fut au coeur des débats. Pointant « état d’agitation psychomotrice », « amnésie partielle ou totale », « troubles comportementaux et traumatismes précoces », « personnalité dyssociale » et appelant à la mise en place de soins « au long cours », ce professionnel n’a pas pointé un trouble psychiatrique majeur susceptible d’entraîner, légalement parlant, une altération du discernement, altération entraînant une diminution d’un tiers de la peine encourue par le prévenu. Ce psychiatre a pourtant retenu une altération du discernement liée à une alcoolisation, le jour des faits, ayant modifié la perception de la réalité du prévenu. « Cette expertise est à tort favorable au prévenu, il s’agit d’une bien mauvaise interprétation de la jurisprudence Halimi », réagit Me Bonnat, en référence à un dossier ayant défrayé l’actualité. Un psychiatre a retenu une abolition du discernement du meurtrier de Sarah Alimi en lien avec une consommation excessive de cannabis, en lien seulement, cette consommation ne faisant qu’accentuer des troubles psychiatriques ayant aboli le discernement du meurtrier au moment des faits. « Comme monsieur avait bu, son discernement serait altéré, pardon, mais la loi, ce n’est pas ça », rappela Me Bonnat. « Monsieur n’a pas été contraint de boire de l’alcool », poursuivit le procureur Candar avant d’exclure une altération du discernement. Me Lalloz regretta également une expertise faillible. « Oui, le texte de loi a mal été interprété par cet expert, mais tout de même, monsieur a tué son chien, cet animal qu’il considérait comme son meilleur pote, il a saccagé l’appartement au point de dégonder des fenêtres ! Monsieur a été hospitalisé en psychiatrie pendant huit jours, mais il n’aurait aucun problème sur un plan psychiatrique ? Désolé, j’ai du mal à l’entendre ! » Des éléments interrogent. Etranger à la moindre pratique religieuse, le forcené, sous le coup d’un taux d’alcoolémie de 2,8 grammes par litre de sang, a notamment évoqué Daech avant de se rendre. Qu’a-t-il bien pu lui passer par la tête ? L’énigme reste entière.