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Meurtre avec 43 coups de couteau : le parcours de l’accusé

Un passage à l’acte soudain, sans réel mobile, 43 coups de couteau… Le fruit d’un important stress post-traumatique. L’accusé n’en est pas moins responsable de ses actes. Quinze ans de réclusion criminelle ont été requis à l’encontre de Sofian Abdul Kadir.

Durablement impactées par le crime commis, le 7 juillet 2011, à Chaumont, les travailleuses sociales de l’Association pour l’accueil des travailleurs et des migrants (AATM) ont répété vouloir comprendre comment Sofian Abdul Kadir avait pu en venir à porter 43 coups de couteau à un de ses compagnons d’infortune (nos éditions des 10 et 11 mai).

Ce déferlement de violence serait directement lié à un syndrome post-traumatique consécutif à un parcours étranger au confort de vie observé en France ou ailleurs. Sofian Abdul Kadir se montrait discret sur son passé. Un passé traumatisant. Né le 1er mai 1993 à Mogadiscio, le cadet d’une fratrie de trois enfants a rapidement quitté la Somalie avec les siens en raison des troubles observés dans son pays suite à l’effondrement du bloc soviétique. La famille gagne la Libye où Sofian Abdul Kadir connut le sort réservé à de nombreux somaliens. Considéré comme « un esclave », cet enfant aura subi « coups » et « agressions sexuelles ». La famille finira par retrouver la Somalie en 2001 suite au départ des troupes américaines.

De Mogadiscio à Chaumont

En 2011, âgé de 18 ans, Sofian Abdul Kadir rencontre sa première petite amie. « Menacé, séquestré et torturé » par la famille de la jeune femme, enceinte, une femme qu’il n’a jamais revu, l’infidèle est livré à un groupe islamiste. Condamné à 100 coups de fouet et cinq mois d’exil dans un camp, « traité comme un esclave », forcé à ingérer les excréments de ses geôliers, torturé, notamment, à l’aide « de cailloux suspendus à son sexe », incité à commettre un acte terroriste afin de « laver son péché », Sofian Abdul Kadir parviendra à s’échapper en août 2011. Blessé par balle dans le cadre de son évasion, le fuyard, « déguisé en femme », gagnera le Soudan puis la Libye. Un pays en guerre en cette année 2011. « En échange de 800 euros », le migrant échouera en Italie. Le début d’un nouvel exil. Après avoir séjourné en Suède et en Allemagne, Sofian Abdul Kadir finira sa route en France en juillet 2017. Pris en charge en région parisienne, demandeur d’asile, l’enfant de Mogadiscio sera transféré à Chaumont avec un lourd vécu pour seul bagage.

« Syndrome post-traumatique »

Comment ne pas pas être marqué par pareil parcours ? Un psychiatre pointa un « stress post-traumatique majeur » caractérisé par « hypervigilance » et « sentiment global d’insécurité », un troublé incarné par un recours systématique de l’accusé à une barrière, une protection, un téléphone portable avec lequel l’accusé filmait continuellement ses colocataires. Agé de 61 ans, l’expert fit état d’un syndrome « sévère », « un des plus importants que j’ai pu rencontrer ». Une « situation anodine » a pu réveiller un profond traumatisme, un passé tu. Le psychiatre décrit les effets et conséquences d’une « dissociation traumatique ».

Altération du discernement

L’accusé assume la responsabilité de ses actes. Sans parvenir à expliquer son passage à l’acte. Sofian Abdul Kadir répète ne pas avoir eu conscience de porter 43 coups de couteau. « Cet homme est traumatisé par son acte, il se sent étranger à cet acte. (…) Une amnésie lacunaire a pu intervenir ». Et puis… « Je ne suis pas sûr qu’il porte ces 43 coups de couteau à son colocataire, ces coups, il les porte aux personnes qui lui ont fait du mal ». Traumatisé, Sofian Abdul Kadir a toujours peur. L’administration pénitentiaire l’a placé à l’isolement. Une mesure appréciée par l’accusé. « En prison, il se sent comme dans un château-fort, il se sent protégé ».

Aussi traumatisé soit-il, l’accusé n’a pas agi « en rupture totale avec le réel ». Nulle abolition du discernement. Certain de son diagnostic, l’expert psychiatre pointa une altération du discernement. Un diagnostic incontestable aux yeux de madame l’avocat général D’Anzi. Quinze ans de réclusion criminelle furent requis (lire par ailleurs). Le verdict est attendu ce 12 mai.

Thomas Bougueliane

« Quinze ans »

« Vous allez devoir juger et décider du devenir d’un homme ». Tels furent les premiers mots de madame l’avocat général D’Anzi. Sofian Abdul Kadir s’est-il rendu coupable de meurtre ? L’accusé le reconnaît, l’accusé assume sa responsabilité. Mais voilà, tout n’est pas si simple. « Participer à une œuvre de justice implique de se départir de ses a priori, de ses émotions, de comprendre un parcours de vie douloureux pour tenter d’expliquer comment un homme a pu commettre un meurtre d’une telle violence ».

Avant de livrer son « point de vue » sur le dossier, Nathalie D’Anzi eut la délicatesse, l’honneur, de « faire exister Jawad, la victime ». Cet homme « agréable », « sociable», avait fui l’Afghanistan, traqué, persécuté, là encore, par la famille de sa petite amie. « Jawad, personne n’est là pour lui (…) Jawad avait 27 ans, il est arrivé à Chaumont le 14 février 2020, un demandeur d’asile qui vient en France, cette terre d’accueil, recherche la sécurité, Jawad, lui, il a trouvé la mort cinq mois après son arrivée, Jawad est mort parce qu’il a refusé  de quitter une salle de bain ». La futilité du mobile interroge. « Des tensions sont apparues » entre victime et accusé, mais tout de même… Comment l’accusé a-t-il pu en venir à se livrer à pareil déferlement de violence ?

« Bourreau, à son tour »

Sofian Abdul Kadir a été le chercher, ce couteau de cuisine, « il a asséné 43 coups sur le corps de la victime », des jambes au crâne, avant de s’enfermer dans une salle de bain, là où la victime, « recroquevillée dans une mare de sang », rendit son dernier souffle, à 29 ans, dans le bac de douche d’un appartement de la rue Loucheur. « Onze plaies profondes ont été répertoriées ». Poumons et foie ont été directement touchés. « Un acharnement ». Au regard de la violence de l’agression, le caractère volontaire d’une véritable exécution ne peut être contesté. La défense en conviendra. « Accepter l’idée d’avoir tué est une idée lourde à assumer ! (…) On peut comprendre qu’il ne puisse admettre être devenu à son tour un bourreau ».

L’accusé était bel et bien « en contact avec la réalité », « conscient » et « responsable de ses actes ! » La personnalité de l’accusé n’en revêt pas moins un caractère important. « Ce vécu traumatique peut nous permettre de comprendre certains comportements. (…) Monsieur Abdul Kadir a été confronté par le passé à sa propre mort, ce passé a pu entraîner un stress post-traumatique important et une dissociation traumatique », nota Nathalie D’Anzi. Faits et passé sont liés. Une altération du discernement, oui, mais « monsieur Abdul Kadir n’est pas fou, pas irresponsable ». Réquisitions ? Quinze ans de réclusion criminelle.

« Je vous le confie »

L’horreur, des millions d’êtres humains la vivent, au quotidien. Souvent, c’est loin. « Là, ce n’est pas à des milliers de kilomètres, c’est là, juste derrière, à cinq minutes du tribunal, dans un petit immeuble vétuste, excentré, pas l’endroit propice à l’intégration d’un Afghan ayant parcouru des milliers de kilomètres pour finir tué dans un bac de douche de notre paisible Haute-Marne par un homme ayant également parcouru des milliers de kilomètres », souligna Me Tribolet. L’accusé « ne comprend pas son acte ». Déni ? « En aucun cas ». Il s’agit bel et bien d’un homicide volontaire. Un meurtre commis par un homme au passé traumatique.

Charia

Me Tribolet prit le temps de décrire, à l’aide de rapports publiés par Amnesty International, les réalités, des réalités lointaines, pour nous, Européens, de la vie en Somalie lorsque l’accusé l’était encore, enfant, innocent, plus vraiment. « La charia était appliquée par les tribunaux islamistes dans certains quartiers ». Des exécutions publiques étaient organisées, « à coups de couteau » avec des « mineurs » pour bourreaux. « Dans d’autres cas, un meurtre pouvait être réparé par une simple compensation financière ». Là-bas, la vie avait peu de valeur. « Si nous vivons tous sur la même planète, nous ne vivons pas tous dans le même monde, pas à la même époque ». Le traumatisme est réel. Nul n’aura contesté les éléments attestant d’un parcours de vie traumatique. « La peur le rongeait intérieurement, une véritable peur ».

Signes avant-coureurs

Me Tribolet en vint à citer Michel Rocard. « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Différents signes avant-coureurs auraient pu alerter sur l’état d’un réfugié exposé au pire. Sofian Abdul Kadir n’a jamais été soumis à un examen médical spécifique. « Une problématique aurait pu être détectée. (…) Le premier psychiatre qui le voit dans le cadre de son placement en garde à vue dit immédiatement qu’il a une personne détruite devant lui ! » Le jour des faits, l’accusé était seul, dans la salle de bain, « un lieu d’intimité », des tensions existaient avec la victime, l’accusé a « peut-être été débordé par un geste, un ton, une attitude lui ayant rappelé une scène qu’il a vécu ». Un expert psychiatre a clairement détaillé le « mécanisme » ayant conduit au pire. « L’altération du discernement ne fait aucun doute (…) Oui, ce crime est horrible, mais il l’est peut-être moins que l’homme passant un contrat pour exécuter sa femme pour des questions financières ». Alors, que faire ? « Le diagnostic, vous l’avez, vous pouvez l’obliger à se soumettre à des soins au long cours ». Un psychiatre a fait état d’avancées en matière de traitement des syndromes post-traumatiques. Tout espoir n’est pas perdu. Me Tribolet en termina par ces mots : « Je vous le confie ».

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