Viol incestueux à Joinville : treize ans de réclusion
Cour d’assises. Reconnu coupable d’un viol commis, en janvier 2020, à Joinville, à l’encontre de sa nièce, âgée de 8 ans au moment des faits, un quadragénaire souffrant d’une déficience mentale a été condamné à treize ans de réclusion criminelle.
Misère familiale, misère sociale, misère éducative, misère intellectuelle, misère sexuelle… La misère tout court, cette misère qu’on ne préfère pas voir, qu’on préfère ignorer, tout en sachant que ça existe, mais ailleurs, pas ici. Quatre jours durant, des citoyens appelés à rendre justice ont été plongés dans les bas-fonds des existences de miséreux des temps modernes, de citoyens aux situations et réalités méconnues du grand public, connues des travailleurs sociaux.
Les faits épousent un lourd contexte. Le 19 janvier 2020, à Joinville, au terme d’un déjeuner du dimanche en famille, partagé au domicile de sa grand-mère, une enfant de 8 ans atteinte d’une déficience mentale rejoint « une écurie » pour les uns, « une étable » pour les autres, afin de prendre soin de « sa chèvre ».
Egalement atteint d’une déficience mentale, un de ses oncles* la rejoint. Agé de 47 ans, l’homme sort sa verge et commence à se masturber avant de porter son sexe à hauteur de la bouche de sa nièce. L’enfant proteste. « Non, je ne veux pas ». L’agresseur pose ses mains sur la tête de la victime afin de la contraindre à une fellation. Une pénétration. Un viol. Un crime.
La mère de l’enfant arrive sur les lieux. Des mots l’interpellent. « Crache, crache, crache ». La mère de famille constate par ailleurs la présence d’une trace blanchâtre sur le menton de l’enfant. La victime finira par avoir le courage de se confier. Avec ses mots. « Il m’a mis un produit dans la bouche ».
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L’oncle désigné par l’enfant reconnaîtra avoir imposé une fellation à sa nièce avant de lui avoir éjaculé dans la bouche au terme d’un bref rapport oral.
Avec le concours et l’assistance d’un éducateur spécialisé, les parents déposeront plainte le 23 janvier 2020, quatre jours après les faits. Dans un contexte de crise sanitaire, l’oncle de l’enfant sera mis en examen et placé en détention provisoire le 3 mars 2020.
Le profil de l’accusé interroge. Ce Joinvillois avait été condamné, en mai 2011, pour un délit d’agression sexuelle commis à l’encontre d’une autre nièce. Des suspicions avaient plané dans le cadre de ce dossier quant à la commission de faits de nature sexuelle sur deux neveux. Des suspicions. Rien de plus. Interrogé par madame le président Podevin sur ce précédent, l’accusé aura spontanément précisé avoir sodomisé un de ses neveux afin de montrer au grand frère de l’enfant « comment faire ». Quelques secondes plus tard, le quadragénaire répéta avec la même spontanéité, la même faiblesse, ne jamais avoir commis les actes dont il venait de s’accuser.
« C’est grave ce que j’ai fait »
La fellation imposée à sa nièce le 19 janvier 2020, l’accusé la reconnaît, depuis sa première audition. « C’est grave ce que j’ai fait ». Pourquoi l’a-t-il fait ? Aucune réponse. L’accusé ne souffre d’aucun trouble psychique ou neuro-psychique selon différents experts, dont un, convoqué, attendu, en vain. Le quadragénaire serait handicapé par une déficience mentale, « légère » ou « moyenne », rien de plus.
Au regard de la personnalité du prévenu, faible, souvent ailleurs, parfois présent, « fatigué », l’avocat général Cecoltan en vint à pointer une altération du discernement. Une altération entraînant une réduction d’un tiers de la peine encourue. Et puis, tout se gradue, même l’horreur. Les actes commis à l’encontre de la victime sont d’une gravité extrême. Mais il y a pire, tellement pire. Six ans de réclusion criminelle et un suivi socio-judiciaire d’une durée de cinq ans furent requis.
La cour retint une altération du discernement. Tout en allant au-delà, bien au-delà, des réquisitions du ministère public. L’altération du discernement réduisant d’un tiers la peine maximale de 20 ans de réclusion, l’accusé encourait ainsi treize ans. L’accusé a pris treize ans. A cette peine s’ajoute un suivi socio-judiciaire d’une durée de dix ans comprenant, notamment, une injonction de soins. Un manquement aux multiples obligations fixées dans le cadre de ce strict suivi serait sanctionné d’une peine de cinq ans de prison ferme.
Thomas Bougueliane
* La victime, mineure, portant le même nom que son oncle, l’identité de l’accusé n’est pas mentionnée dans nos colonnes afin de ne pas nuire plus amplement à la victime, ainsi que le prévoit la loi.
Parole à la défense
Un père, une mère, dix enfants, une modeste demeure, une réelle promiscuité, une vie de peu. L’accusé est le petit dernier. « Le chouchou de sa mère », un enfant non souhaité par son père, rapidement handicapé par un important retard mental. A l’école, c’est difficile, forcément. « Cet enfant était toujours dans les jupons de sa mère, il était envié et malmené par ses frères, il a grandi sous les moqueries en lien avec son handicap au sein d’une famille carencée où on vit en vase clos ».
Une question aura plané sur les débats. « Que s’est-il passé dans son enfance ? » Son passé, l’accusé le tait. La vie de la famille de l’accusé est truffée de « non-dits ». Fan de Johnny Hallyday et du personnage de Rocky Balboa, l’accusé, reconnu adulte handicapé, n’a jamais travaillé. Apprécié, monsieur aidait sa mère, des voisins… « Faire le bois, j’aime ça ». Le petit chouchou a vécu chez maman jusqu’à l’âge de 35 ans avant de rencontrer sa « première copine », de quitter, enfin, le domicile familial. L’accusé et sa compagne recourront à la procréation médicalement assistée afin d’avoir un enfant. En vain.
« Le bien et le mal »
La défense aura pointé la personnalité d’un accusé d’une extrême fragilité. « On pourrait faire dire n’importe quoi à cet homme, sous pression, il pourrait vous dire qu’il a marché sur la lune, pourtant, la vérité, il l’a dite. (…) Cet homme n’est pas pleinement responsable de ses actes, c’est manifeste, comment pourrait-on sincèrement penser le contraire, comment peut-ton croire qu’il raisonne comme nous ? C’est un enfant, les enfants font la différence entre le bien et le mal, mais les enfants, on ne les juge pas comme les adultes », souligna Me Cabannes au nom d’un accusé au discours primaire.
L’avocat de la défense mit également en avant « un climat familial incestueux », un climat, « j’en suis persuadé, mettant à mal les rapports au bien ou au mal ». Et puis… Magistrats et jurés sont appelés à juger « un fait unique », « un acte fugace ». Alors, que faire ? La prison ? « Oui, il vous a dit qu’il était bien en prison, que la prison c’était le paradis, vous savez pourquoi ? Parce qu’en prison, on lui a donné du chocolat blanc », tonna Me Cabannes avant d’appeler la cour à privilégier un suivi socio-judiciaire, « strict ». « Ce suivi pourrait imposer un placement en milieu adapté ». Un établissement spécialisé, pas un centre de détention, un lieu où cet accusé d’une profonde immaturité serait encadré, sous autorité, soigné, véritablement. La défense ne fut pas entendue. Vendredi 6 mai 2022 au soir, Me Cabannes disposait d’un délai de dix jours pour interjeter appel de la décision de la cour d’assises de Haute-Marne.
« Une enfant détruite »
« Ce que je vais vous dire, c’est ce que je ressens, ce que je crois (…) Je suis aujourd’hui la voix de cette enfant qui n’est pas présente mais qui sait ce qu’il se passe en ce moment dans cette salle d’audience », aura souligné Me Tribouley au nom des parents de la victime, une enfant suivie et accompagnée depuis plusieurs années dans un cadre spécifique, une enfant ayant souffert d’obésité morbide, une enfant combative, pleine de vie, malgré de multiples difficultés, une succession d’opérations et trois mois passés en fauteuil roulant.
« Le 19 janvier 2020, ça allait mieux, pour elle, c’était un jour de fête, on fêtait l’anniversaire de son père et la fête d’un de ses oncles, chez sa grand-mère, dans un cadre sécurisé, là où il y a des animaux, sa petite chèvre ». Et puis… « Son oncle met ses mains sur sa tête et appuie pour qu’elle se baisse, elle, elle le dit, “non, je ne veux pas”, il le dit lui-même, elle a dit non à deux reprises ». Le traumatisme est conséquent, à la hauteur de la gravité de l’agression. « Quand des enfants de son âge jouent à cache-cache, elle, elle est dans une écurie avec le sexe de son oncle dans le bouche, avec le sperme de son oncle dans la bouche. (…) Comment pourrait-on croire qu’elle ne va pas être marquée toute sa vie ? Son innocence est souillée, elle se sent salie. (…) Son premier rapport à la sexualité demeurera un viol commis par son oncle, un homme de 40 ans de plus qu’elle. (…) Elle est devenue associable, elle ne voulait plus sortir, plus aller à l’école, elle court vers ses parents quand elle voit quelqu’un arriver, cette méfiance perdurera. (…) Ses craintes se manifestent dans son sommeil, ça va au-delà d’insomnies, ses cauchemars, c’est cet oncle qui lui appuie sur la tête. (…) Non, monsieur, vous n’avez pas fait une bêtise, cette gamine, elle est détruite ! Vous avez commis un viol et vous avez détruit sa vie ! (…) Le combat de cette enfant, cette enfant détruite, ça va être de surpasser ce drame pour réussir à apprécier les bons moments de sa vie », aura martelé, d’une voix douce, Me Tribouley. Le combat a débuté. Le combat d’une vie.