Suède – France : 2 projets pour les déchets nucléaires
Que ce soit la France ou la Suède, les deux pays ont opté pour un stockage en couches géologiques profondes pour leurs déchets nucléaires.
D’un point de vue éthique, la Suède et la France sont arrivées à la même conclusion : « Les déchets sont là. Donc soit on en prend soin, soit on décide de ne rien faire, on profite du nucléaire et on laisse le travail à nos enfants », expose Saïda Laârouchi-Engström, vice-présidente de SKB, l’équivalent de l’Andra en Suède. « Aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour dire qu’on doit s’en préoccuper. Mais ce n’était pas si simple au début. Des gens nous ont même demandé pourquoi on ne vendait pas nos déchets en Afrique ! Heureusement, depuis, on a fait un vrai voyage sur cette question. »
En France, le même chemin a été pris : après que certains eurent demandé d’expédier les déchets sur la Lune, tout le monde est aujourd’hui conscient que c’est à la génération actuelle de trouver une vraie solution pour les déchets. Et l’ensemble des pays du monde s’est accordé sur la solution du stockage géologique profond, jugée la plus sûre de toutes.
Si la philosophie est donc la même, les deux projets présentent tout de même de nombreuses différences.
En Suède
Les déchets à stocker : Si on parle bien des déchets les plus dangereux, ceux de haute activité à vie longue (HA-VL), c’est sous forme de combustibles usés que la Suède les stockera à environ 500 mètres de profondeur.
Le laboratoire de recherches : C’est une grosse différence avec la France, le laboratoire de recherches suédois est installé à 460 m de profondeur à Äspö, soit à 470 km au sud du futur site de stockage de Forsmark ! Il est en fonction depuis 1995.
Les conteneurs : Le combustible usé est enfermé dans une enveloppe en fonte, puis placé dans un conteneur en cuivre de 5 cm d’épaisseur. Le colis mesure ainsi 5 m de hauteur sur un mètre de diamètre, pour un poids de 27 à 30 tonnes.
La roche : Comme dans toute la Suède, le sous-sol de Forsmark est entièrement constitué de granit. Une roche très résistante qui ne sera pas déstabilisée par la température des déchets, mais qui est très fracturée, ce qui peut provoquer des circulations d’eau. Il a donc fallu trouver un site présentant peu de fracturations.
Le creusement : En Suède, la plupart des galeries seront creusées à l’explosif.
Les galeries : Chaque galerie mesurera 100 m de long. Les 5 km de galeries seront répartis sur 2 à 4 km2. On y accèdera par une descenderie en spirale, évitant ainsi des installations de surface à quelques kilomètres.
Le stockage : Les conteneurs seront stockés dans des puits verticaux creusés dans chaque galerie du centre de stockage. Chaque puits n’accueillera qu’un seul colis.
Les déchets : Actuellement stockées dans les piscines du Clab, un centre de stockage provisoire au sud de la Suède, 12 000 tonnes de combustibles usés seront à stocker une fois toutes les centrales arrêtées. Chaque année d’exploitation, 200 tonnes de déchets arriveront au centre.
La réversibilité : SKB se l’est imposée. La loi ne l’impose pas, mais le gestionnaire des déchets veut être capable, pendant toute la durée d’exploitation (un peu plus de 50 ans), de retirer les colis.
Le coût du stockage : Selon SKB, le stockage des déchets radioactifs à vie longue de la Suède coûtera 11 milliards d’euros.
Les retombées économiques : Avant le choix du site définitif, les deux dernières Municipalités en course se sont mises d’accord : celle qui n’aura pas le stockage bénéficiera, durant 25 ans, de 75 % d’un fonds d’environ 2 milliards de couronnes (environ 200 millions d’euros), contre 25 % pour celle qui aura le stockage. Ce fonds est en effet considéré comme une compensation pour ne pas avoir obtenu le stockage !
En France
Les déchets à stocker : Les déchets destinés à être stockés dans Cigéo, à environ 500 mètres de profondeur, sont également des déchets HA-VL, mais sous forme vitrifiés, après retraitement à la Hague.
Le laboratoire de recherches : Installé à Bure au milieu de la zone d’études pour trouver le site définitif, le laboratoire a été creusé à 490 m de profondeur à partir des années 2000.
Les conteneurs : Les déchets vitrifiés sont coulés dans un colis en inox d’1,30 m de hauteur et 43 cm de diamètre, pour un poids d’environ 500 kg.
La roche : Cigéo est prévu dans une couche d’argile, plus souple et moins fracturée que le granit.
Le creusement : Les galeries sont creusées par un tunnelier qui pose les soutènements en même temps.
Les galeries : Chaque galerie mesurera environ 300 m. Les 65 km de galeries seront réparties sur 15 km2. On y accèdera par une descenderie oblique depuis des installations de surface situées à plusieurs kilomètres du stockage.
Le stockage : Les conteneurs seront placés dans les 1 500 alvéoles horizontales d’une centaine de mètres chacune. Une quarantaine de colis peut être stockée dans chaque alvéole.
Les déchets : Actuellement entreposés sur chaque lieu de production, 80 000 m3 de déchets pourront être accueillis à Cigéo. Durant l’exploitation, 1 200 tonnes de déchets arriveront chaque année.
La réversibilité : La loi de 2006, choisissant l’enfouissement, imposait un stockage réversible. Les modalités de cette réversibilité ont été précisées par une nouvelle loi de juillet 2016, qui indique : «La réversibilité est la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion. (…) Elle inclut la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés selon des modalités et pendant une durée cohérentes avec la stratégie d’exploitation et de fermeture du stockage.»
Le coût du stockage : Selon les dernières estimations de l’Andra, Cigéo coûtera 34,4 milliards d’euros. Ségolène Royal, ministre de l’Environnement a cependant souhaité que le projet ne dépasse pas les 25 milliards.
Les retombées économiques : La Meuse ayant les déchets dans son sous-sol, elle touchera 60 % des retombées économiques, contre 40 % pour la Haute-Marne qui n’aura que l’entrée de la descenderie sur son territoire.
P.-J. P.
pj.prieur@jhm.fr
On a visité… Äspö, le laboratoire souterrain
Une petite route de forêt sinueuse serpente entre les marais bordés d’arbres aux couleurs automnales. Plusieurs kilomètres d’une route magnifique au bout de laquelle se dresse un ensemble de bâtiments en bois rouge et blanc. On se croirait dans une ferme typique de Suède. En réalité ces jolis bâtiments abritent le laboratoire de recherches scientifiques souterrain de SKB. L’équivalent de celui de Bure. Construit entre 1990 et 1995, le laboratoire est en fonctionnement depuis 1995, à 460 mètres de profondeur.
Pour descendre, direction l’ascenseur. En 90 secondes, nous voilà au fond (il faut près de 7 minutes à Bure !). La porte s’ouvre et là, première surprise : de l’eau ! Partout ! Mais « cela ne gêne pas », nous affirme-t-on. « Ici, ce n’est qu’un labo. Dans le futur stockage, il n’y en aura pas. » Car c’est sans doute le plus grande différence avec la France : en Suède, le laboratoire de recherches est à 470 km du futur site de stockage !
Très vite, il faut s’écarter pour laisser passer une voiture… Le laboratoire d’Äspö est très fréquenté. La visite peut commencer. Notre guide du jour nous explique alors ce qui est étudié ici : techniques de creusement, scellement des galeries avec de la bentonite, comportement de la roche, étude des véhicules (plus d’une centaine seront utilisés dans le futur centre de stockage)… Plusieurs puits donnent également une idée de ce que sera ce stockage made in Suède. Des colis factices ont aussi été enfouis en 2001 et 2003, afin d’étudier le comportement du cuivre.
La visite se termine par la remise d’un petit flacon d’eau provenant du labo (un comble tout de même !), au pied de l’ascenseur qui doit nous ramener à la surface. Mais soudain, la lumière s’éteint… De la musique retentit et des spots commencent à balayer la pièce. On se croirait en boîte de nuit… Surréaliste…