Une semaine, un livre : « Connemara », de Nicolas Mathieu
“Connemara”, troisième roman de Nicolas Mathieu, récompensé par le Goncourt en 2018 pour sa précédente oeuvre, est édité chez Actes Sud.
Son précédent roman “Leurs enfants après eux” a reçu le prix Goncourt et il est devenu l’écrivain dont le grand Est s’honore. D’origine vosgienne, Nicola Mathieu habite à Nancy et déroule la plus grande partie de l’intrigue de son nouveau roman “Connemara” dans ces régions. Une fresque sociale où, à l’instar de ses auteurs préférés Flaubert, Steinbeck, Faulkner, il s’intéresse « aux petites gens en montrant le caractère épique des vies les plus humbles » comme Michel Sardou, dans sa chanson Connemara.
« Je suis un écrivain de Lorraine »
Cependant, il refuse d’être considéré comme un écrivain régionaliste qui se ferait le chantre ou le promoteur d’une région, il n’est pas le poète de la Lorraine, il décrit le monde qui l’entoure « avec le seul souci de la justesse et du détail », ne dédaignant pas le réalisme le plus cru.
« Qu’est-ce qu’une vie qui vaut le coup ? »
C’est la question qui agite ses deux personnages principaux. Hélène et Christophe ont vécu leur enfance dans la même petite ville vosgienne. On découvre progressivement les épisodes marquants de leur vie, la jeunesse, l’adolescence, l’éveil de la sexualité, la maturité…
Hélène est une battante qui n’a qu’une envie, celle d’échapper à un milieu qu’elle méprise et de réussir : « elle s’était dite qu’un jour elle découvrirait le beau monde, ferait des voyages et serait une femme libre ». Elle y est parvenue, est devenue un des éléments performants d’un cabinet de consulting, émarge avec de gros salaires et soudain, à la quarantaine, remet tout en question : « elle considérait sa vie, son indéniable réussite, et se demandait amèrement : tout ça pour ça ? ».
Le hasard lui fait rencontrer Christophe qui est aussi à un tournant de sa vie. Bel homme, célébré dans sa jeunesse comme une star du hockey sur glace, il est resté au pays et travaille sans passion comme représentant de produits alimentaires pour chien : « toute la journée il se sentait comme un outil, une chose à faire fonctionner ». Père divorcé, il s’occupe de son fils et de son père âgé et meuble ses temps libres en beuveries avec les copains. Ils sont attirés l’un par l’autre et pourtant si différents. Une femme en colère et un homme déçu, des héros du monde moderne en pleine crise. Ce n’est pas simple d’être heureux.
« Des règlements de compte »
L’intrigue est prétexte à décrire des fonctionnements de la société sur lesquels l’écrivain porte un regard critique, impitoyable. La réforme territoriale faite au nom de l’efficacité et de l’économie de moyens, l’essor des cabinets de consulting censés aider à résoudre les conflits nés de ces regroupements artificiels de territoire et « qui finissent toujours par proposer des réductions de masse salariale », « les dispositifs de management qui asservissent des milliers de gens »… Un réquisitoire contre les déviations d’une société qui sacralise la performance et la rentabilité et sacrifie les valeurs de bien-être et d’humanité. Nicolas Mathieu estime que l’auteur a vocation à en parler : « la littérature se coltine la part noire du monde. A la fois la grandeur et la boue, les deux extrêmes de la condition humaine ». Un livre qui donne à réfléchir…
Françoise Ramillon