Carburants : les clients rusent, la direction ménage son personnel
Manon est venue de Chalindrey pour déposer un CV à Langres. Avant de rentrer chez elle, elle a fait halte à la pompe à essence d’Intermarché, à Langres. Où elle applique une astuce. A côté, Jacky prédit la poursuite de la flambée des prix. Tandis que la direction de l’hypermarché cherche à encourager le covoiturage de son personnel.
« Avant de mourir en avril dernier, mon père m’avait dit : à ce rythme, tu vas voir, dans un an, le litre sera à 2 € ». Pour préserver les moyens financiers de sa fille Manon, il lui avait soufflé une astuce… avant donc que la Russie entre en guerre contre l’Ukraine. En mélangeant le SP 95-E10 et le E85, remplir le réservoir sera moins onéreux. Alors Manon, qui habite Chalindrey, applique la technique à chaque fois qu’elle passe à la pompe, avec inévitablement une petite pensée pour son parent disparu.
« Sur 50 €, je mets 40 € de SP95-E10 et 10 € de E85 ». La voiture en souffre-t-elle ? Il semble que non… dès lors qu’on a pris ses dispositions. « On pose un boîtier sur le carburateur, qui permet de ne pas assécher le réservoir avec le seul E85 ». Sur une autre pompe, Jacky, de Marcilly-en-Bassigny, met en avant son statut de retraité, pour qui « c’est moins grave ». Reste que, pour s’épargner le choc de la note, il a sa méthode… d’amortissement. « Au lieu de mettre 80 litres d’un coup, j’y vais par 20 litres… ».
Qui sait en outre, si, par miracle, le prix des carburants se mettait à redescendre, il ne ferait pas une petite affaire, une fois de temps en temps. Jacky ne rêve pas en réalité. « Ce n’est pas rigolo… Il sera à 3 € pour les vacances… Il y en a qui ne partiront pas ».
« Aménager le planning pour faciliter le covoiturage »
« Pour nous, les prix changent d’un jour à l’autre. Ceux qu’on pratique dépendent du nombre de camions qu’on fait entrer à la semaine ». Voilà comment, poursuit l’adhérente de l’enseigne Caroline Nickler, des stations-service habituellement parmi les plus chères peuvent, soudain, afficher des tarifs plus compétitifs que leurs homologues.
« Les clients ne parlent que de la hausse des prix des carburants… et de la guerre ». Son directeur Didier Duboureau a averti son personnel mercredi pour qu’il fasse le plein puisqu’il était informé de l’augmentation qui s’appliquerait. Oui aussi, « le E85 commence à être à la mode, mais, pour l’heure, les volumes écoulés n’explosent pas ». Dans le même temps, en apprenant que deux de ses employées étaient voisines, le duo de dirigeants s’est demandé s’il pouvait envisager de modifier leurs horaires pour qu’elles fassent du covoiturage.
A voir si d’autres sont dans le même cas : il va falloir se mettre à la gymnastique de la mise en concordance des emplois du temps… « Ce qui est paradoxal, c’est que mercredi 9 mars, on a écoulé un volume de carburants en hausse de 50% par rapport au 9 mars 2021 ».
L’opinion se plaint de la flambée des prix et, conjointement, redoute manifestement … que demain soit pire qu’aujourd’hui. Ce jeudi 10 mars, la station essence est inhabituellement peu fréquentée. Il n’est pas exclu que l’annonce de prix coûtants ailleurs ait aspiré la foule régulière. « Pourtant, le prix coûtant aujourd’hui ne vaut rien… ».
Qu’est-ce que deux ou trois cents vont en effet changer à l’effet de bonds de plus de 20 cents ? Si, dans la grande distribution, une station-service sert à aimanter et fixer la clientèle, elle n’est pas elle-même une source de bénéfices. « Les marges, d’ailleurs faibles, vont aux charges ». Le passage aux pompes 24h/24 avec règlement via carte bancaire est, aux yeux du binôme, l’illustration que la station elle-même n’est pas rentable.
Fabienne Ausserre
f.ausserre@jhm.fr
