Terrorisme : pour Me Benoit, « Sid Ahmed Ghlam a changé »
Le procès de Sid Ahmed Ghlam s’ouvre lundi 5 octobre, à Paris, devant la cour d’assises spéciale. Après un retour sur un dossier empreint de nombreuses interrogations paru dans notre édition d’hier, l’avocat haut-marnais Christian Benoit abat les cartes de la défense.
JHM : Les années ont passé, les investigations ont été nombreuses, ont-elles permis de comprendre comment un d’étudiant sans histoire est devenu un jeune homme radicalisé prêt à commettre un attentat ?
Christian Benoit : Les différentes investigations ont permis d’établir le parcours de Sid Ahmed Ghlam de ses années estudiantines jusqu’à son islamisation et son embrigadement par l’État islamique. Les procédures propres à ce type d’organisation ont également pu être identifiées, je pense notamment aux voyages à l’étranger et à la façon adoptée par l’État islamique pour embrigader des jeunes, des jeunes de différents milieux, des jeunes de différents niveaux intellectuels, ce qui est d’ailleurs assez inquiétant.
JHM : Ce dossier est la parfaite illustration des mé-thodes d’embrigadement adoptées par des organisations terroristes…
C. B. : Tout à fait ! Ce dossier permet de comprendre comment une personne d’apparence normale, ne rencontrant pas de difficulté particulière, n’ayant pas eu une enfance particulièrement difficile, peut à un moment être embrigadée, être prise en charge, se faire retourner l’esprit et changer radicalement. Sid Ahled Ghlam en est parfaitement conscient. Lors de l’instruction, Sid Ahmed Ghlam a répété à plusieurs reprises qu’il avait l’impression que l’État islamique avait pratiquement pris possession de son esprit, corps et âme.
JHM : Dans ce processus de radicalisation, quelle place occupe Saint-Dizier ?
C. B. : On peut considérer pour l’essentiel du parcours de Sid Ahmed Ghlam que Saint-Dizier, via des personnes ou différentes organisations, n’a pas occupé une place majeure dans ce processus de radicalisation et d’embrigadement.
JHM : Sid Ahmed Ghlam a rapidement contesté être à l’origine de la mort d’Aurélie Châtelain avant de faire état de la présence d’un complice. Sa position a-t-elle variée ?
C. B. : La position de Sid Ahmed Ghlam n’a jamais varié au cours de cinq années de détention provisoire, une durée exceptionnelle puisque, pour rappel, la durée maximale d’une période de détention provisoire est de quatre ans et que cette durée ne peut être renouvelée qu’à titre exceptionnel. Depuis le début de la procédure, depuis les premières investigations du juge d’instruction, Sid Ahmed Ghlam a toujours clamé son innocence en ce qui concerne le décès d’Aurélie Châtelain.
JHM : Les investigations ont-elles permis de confirmer la présence d’un complice qui serait, selon les déclarations de votre client, à l’origine du décès d’Aurélie Châtelain ?
C. B. : Il faut rappeler que dès le départ de cette procédure, les propos de Sid Ahmed Ghlam n’étaient pas retenus, ses déclarations n’étaient pas considérées comme crédibles, notamment lorsqu’il faisait état de l’implication d’un complice à l’origine de la mort d’Aurélie Châtelain. Les investigations, des auditions de témoins, notamment d’agents de sécurité, ont permis de confirmer les dires de Sid Ahmed Ghlam, à savoir qu’une deuxième personne était bel et bien présente. Des témoignages tardifs ont permis de le démontrer. Ces témoignages font état de la présence de trois personnes, dont une femme. Tout dépend désormais des débats devant la cour d’assises spéciale, mais que le bâtonnier Portejoie comme moi-même plaideront l’acquittement en ce qui concerne la mort d’Aurélie Châtelain.
JHM : Ce deuxième homme a-t-il pu être formellement identifié ?
C. B. : Sid Ahmed Ghlam a livré un certain nombre d’informations. Certaines investigations ont été faites en rapport avec les attentats du Bataclan, mais elles n’ont pas permis d’indiquer avec certitude que la personne désignée par Sid Ahmed Ghlam était la personne qui a commis le meurtre d’Aurélie Châtelain.
JHM : Qu’en est-il du rôle de l’ancienne compagne de Sid Ahmed Ghlam dans ce dossier ?
C. B. : Si au départ de la procédure son rôle pouvait être considéré comme important, notamment dans sa radicalisation, la procédure d’instruction n’a pas permis de retenir un certain nombre de charges contre elle. Ceci dit, personnellement, je considère qu’elle a tout de même joué un rôle important dans la radicalisation de Sid Ahmed Ghlam. Si elle n’est pas poursuivie sur un plan pénal, je pense qu’il est incontestable que son rôle a été néfaste. Telle est la position à mon sens la plus réaliste au regard des éléments figurant au dossier sur la radicalisation de cette femme et sur la façon dont elle a pu influencer Sid Ahmed Ghlam.
JHM : Sid Ahmed Ghlam n’a pas agi seul, il a profité de nombreuses complicités. Combien de personnes sont appelées à comparaître devant la cour d’assises spéciale ?
C. B. : Une petite dizaine de personnes… Certaines de ces personnes n’ont pas été retrouvées, elles vont donc comparaître et éventuellement être condamnées par contumace. D’autres personnes seront présentes.
JHM : Ces personnes vivaient principalement en région parisienne…
C. B. : Oui, effectivement. On retrouve notamment un garagiste, ces personnes ont fourni des moyens afin de préparer des attentats terroristes.
JHM : Le commanditaire de ces attentats a-t-il pu être identifié ?
C. B. : C’est une question à laquelle je ne souhaite pas répondre pour le moment, mais je pense qu’un certain nombre d’éléments pourront être discutés dans le cadre des débats. Au stade de l’instruction, l’identité du commanditaire principal de l’État islamique n’a pas été indiquée ou révélée.
JHM : Sid Ahmed Ghlam est incarcéré depuis presque cinq ans. Comment a-t-il évolué au fil des années ?
C. B. : Il a, me semble, t-il bien évolué ! Ces années ont été compliquées, il a été placé à l’isolement, du début jusqu’à maintenant. Son parcours carcéral n’est pas émaillé d’incidents notables. Sid Ahmed Ghlam a continué à suivre une scolarité, il a repris ses études et son parcours a été calme au sein de nombreux établissements pénitentiaires puisqu’il a changé de lieux de détention à plusieurs reprises. Sid Ahmed Ghlam a surtout eu la volonté de réfléchir à son parcours, au pourquoi de cette situation et à la façon dont il a pu en arriver là. Il est évident qu’un homme change en cinq années, en l’espèce, ça a été le cas, incontestablement, Sid Ahmed Ghlam a changé.
JHM : Sid Ahmed Ghlam a coopéré, il devrait donc tenir à s’exprimer au cours de ce long procès…
C. B. : Tout à fait ! Il souhaite être clair sur le parcours qui a été le sien, clair sur les personnes qui ont pu le conduire à préparer un attentat. Pendant la procédure d’instruction, hormis durant la garde à vue où il a été silencieux puisqu’il craignait pour la vie de sa famille, Sid Ahmed Ghlam a collaboré, notamment afin d’expliquer la façon dont les attentats terroristes sont préparés. L’informatique joue un rôle important, des éléments codés sont utilisés. La collaboration active de Sid Ahmed Ghlam a permis d’avoir accès à certains fichiers et à des éléments codés. Le juge d’instruction a pu profiter ce des éléments pour dérouler la pelote de laine et aller assez loin dans les investigations.
JHM : Sid Ahmed Ghlam a déclaré s’être volontairement tiré une balle dans une jambe afin de renoncer à son projet terroriste. Telle est toujours sa position ?
C. B. : Sa position n’a absolument pas varié ! Que les choses soient parfaitement claires, Sid Ahmed Ghlam ne cherche pas à se dédouaner de sa responsabilité, il est tout à fait conscient de ce qu’il risque devant la cour d’assises, il est tout à fait clair sur son parcours et sur la préparation d’un attentat visant une église de Villejuif, il assume sa responsabilité dans cette préparation même si l’embrigadement mis en place par l’État islamique apporte des explications complémentaires. Volontairement, suite à une prise de conscience lorsqu’il a vu cette jeune femme malheureusement décédée, Sid Ahmed Ghlam a souhaité mettre un terme à son projet terroriste. Un déclic est intervenu, il a pris une décision. Sa position a été confortée par un rapport d’expertise balistique. La thèse de Sid Ahmed Ghlam est parfaitement plausible. Le pistolet avec lequel Sid Ahmed Ghlam s’est volontairement tiré une balle dans la jambe est doté d’un cran de surêté, la thèse d’un tir accidentel n’est pas crédible par rapports aux éléments techniques du dossier. Un deuxième point est important. Le laps de temps entre le moment où il se tire une balle dans une jambe et celui où il appelle le Samu indique qu’il a renoncé à son projet terroriste. Lorsqu’il se tire une balle dans la jambe, il est à proximité de l’église visée à Villejuif, son choix a été de repartir à son domicile, à quinze kilomètres, et d’appeler le Samu, en sachant qu’il serait forcément interpellé puisqu’il était blessé par balle et que des armes étaient à son domicile. Ce point me paraît fondamental ! Sid Ahmed Ghlam a préparé un attentat, mais il a volontairement choisi de ne pas le commettre. Peut-il être jugé comme une personne qui serait passée à l’acte ? Peut-il être jugé comme une personne qui aurait choisi de se taire et de ne pas collaborer au cours de l’instruction ?
JHM : Quel mode opératoire avait été retenu dans ce projet d’attentat ?
C. B. : L’objectif était d’entrer, avec une seconde personne, dans une église avec des Kalashnikov, avec tout ce qu’on peut imaginer par la suite…
Retrouvez le rappel des faits paru dans le JHM.
Propos recueillis par Thomas Bougueliane