Désagrégation – L’édito de Patrice Chabanet
La succession des manifestations, de plus en plus imposantes, contre Bouteflika fait penser à une autre séquence qui, elle, s’est jouée en Europe. C’était en 1989. Chaque lundi, des centaines, puis des dizaines de milliers de manifestants défilaient dans les rues de Leipzig, pour réclamer la démocratisation de l’ex-RDA. Un combat qui a fini par payer, en faisant imploser la dictature communiste et qui s’est terminée par la réunification de l’Allemagne. Dans l’Algérie d’aujourd’hui, les défilés suivent aussi un rituel, celui du vendredi. Autre point commun : le mouvement de contestation se veut pacifique, comme il l’était en Allemagne de l’Est. En cela, les opposants au cinquième mandat de Bouteflika se montrent particulièrement avisés : l’absence de violences ôte tout prétexte au pouvoir en place pour se lancer dans une hasardeuse politique de répression. Et, du même coup, le mouvement gagne en popularité. Pas de casse, pas d’affrontement avec la police, ce sont des milliers de manifestants supplémentaires.
De toute évidence, le pouvoir ne sait plus quoi faire, à commencer par le président dont on se demande s’il est encore conscient de ce qui se passe dans son pays. Les revendications s’élargissent pour devenir une opposition frontale, non plus seulement contre la « momie » de Genève, mais contre le système. Les avocats, les médecins, les journalistes, les intellectuels montent au front de la contestation. Plus grave pour le régime : des soutiens le lâchent, comme les associations d’anciens combattants. Quand le navire coule…Le processus de désagrégation est tellement avancé que peu de responsables politiques veulent se compromettre avec un système en fin de course. Quant à l’armée, du moins au niveau de la troupe, elle n’est sûrement pas fiable pour casser le mouvement. La seule question qui vaille aujourd’hui est la suivante : comment le peuple algérien va-t-il transformer la victoire qu’il a déjà remportée dans la rue ? Nombreux sont ceux qui voudraient savoir. Pas seulement en Algérie.