Y aller franco – L’édito de Patrice Chabanet
La crise sociale qui affecte notre pays ne peut pas se dissiper à demi-mot et avec des demi-mesures. Il faut y aller franco. Plus question d’établir un distinguo subtil entre moratoire et suspension pour les hausses de taxes sur les carburants prévues le 1er janvier. L’Elysée a tranché hier soir : elles sont annulées. Le flou entretenu pendant 48 heures n’a fait que braquer les gilets jaunes qui ont cru y déceler un simple report. De toute façon, l’addition des atermoiements et du silence assourdissant entretenu par le chef de l’Etat a sérieusement diminué la portée de cette annulation. Le mouvement est passé à autre chose avec une liste de revendications et de doléances qui n’en finit pas de s’allonger. Certains y verront le triomphe de l’irrationnel et de la démagogie. Il vaudrait mieux y voir une soupape qui libère les frustrations et le sentiment de relégation de plusieurs millions de Français. La prise de parole sans filtre est assumée comme une forme de prise de pouvoir. Un abcès vieux de plusieurs décennies est en train de percer, sans qu’on puisse en évaluer les conséquences.
Les oppositions tentent de surfer sur une contestation soutenue par l’opinion publique, mais les gilets jaunes restent eux aussi droits dans leurs bottes, en maintenant à distance partis politiques et syndicats. C’est d’ailleurs l’une des cartes que joue le chef de l’Etat. Le débat qui remonte à la surface, celui du rétablissement de l’ISF, en très bonne place dans les revendications du mouvement, ne peut que mettre la droite traditionnelle en difficulté. Elle y reste foncièrement opposée. Objectivement, elle se trouve sur la même ligne qu’Emmanuel Macron qui ne veut pas entendre parler de retour de cet impôt. Non seulement, les gilets jaunes se défient de la classe politique, mais ils parviennent à faire revivre le bon vieux clivage droite/gauche. Un autre paradoxe…Les jours à venir en feront apparaître bien d’autres.