Le grand vide – L’édito de Patrice Chabanet
Les chiffres de WWF sont glaçants et implacables. En 44 ans, 60% des espèces sauvages ont disparu. Une accélération foudroyante dans la très lente histoire du vivant sur notre planète. La déforestation explique largement cet effondrement. Elle empiète sur l’habitat de la faune. S’ajoutent la surexploitation due à la pêche industrielle et l’utilisation massive de certains pesticides. La forte réduction du nombre d’éléphants ou de tigres et la disparition du rhinocéros blanc ont un côté spectaculaire. Mais l’Afrique ou l’Amazonie, c’est loin. Plus près de nous, ce sont des centaines d’espèces, moins exotiques, qui disparaissent lentement. Une étude récente montrait qu’en 13 ans, la population des moineaux avait chuté de 73% à Paris. Et chacun d’entre nous peut remarquer que lors d’un trajet de nuit aucun insecte ne vient s’écraser sur le pare-brise ou le capot de son véhicule. Il y a quelques années encore, ils étaient criblés d’impacts. On peut évoquer aussi la mortalité importante dans les ruches.
L’accélération de la disparition des espèces est telle que les scientifiques commencent à parler de « sixième extinction ». Si les précédentes étaient le fait de catastrophes naturelles ou de phénomènes climatiques, celle-ci est imputable aux activités humaines. Impossible d’en mesurer l’impact exact sur notre vie quotidienne. A priori, l’extinction de tel ou tel carnassier ne changera pas la face du monde, mais la disparition d’un prédateur entraîne la prolifération de ses proies. Et , concrètement, comment remplacer l’agent pollinisateur hors pair qu’est l’abeille ? En fin de compte, on assiste sous nos yeux, presque en temps réel, à une cascade de déséquilibres. Jusqu’à présent, ils étaient imperceptibles ou l’affaire des spécialistes. Aujourd’hui, ils sont palpables. Ils sont d’autant plus inquiétants qu’ils coïncident avec les dérèglements climatiques. Que les uns et les autres soient liés directement ou indirectement, peu importe. Ils mettent en danger une espèce bien particulière, la nôtre.