Outrances à gogo – L’édito de Patrice Chabanet
De bons esprits diront que la parole se libère. Un doux euphémisme. Ce sont des égouts qui se déversent dans la société française. Au nom de la liberté d’expression, certains personnages de la vie publique se permettent toutes les outrances, et pas à la marge. C’est le roi des forains parisiens Marcel Campions qui reproche à la ville de Paris d’être gouvernée par des homosexuels qu’il qualifie au passage de «pervers». C’est aussi l’écrivain Yann Moix qui accuse les policiers de «chier dans leur froc» et de « se victimiser à longueur d’émissions de télévision ». C’est encore Éric Zemmour qui s’en prend à la chroniqueuse Hapsatou Sy à cause de son prénom, «une insulte à la France», ce qui lui vaut un sérieux rappel à l’ordre de la société des journalistes du Figaro. N’en jetez plus ! Les poubelles de la haine sont bien remplies.
La provocation, l’insulte, l’hystérie parfois, les élucubrations sou-vent, la réécriture de l’histoire, ont toujours constitué un moyen de faire parler de soi. Le buzz, comme on dit aujourd’hui, est devenu le tremplin de toutes les horreurs. Pour le moment, mieux vaut le reconnaître : il n’y a pas de parade efficace. Tout ce beau monde se planque derrière la liberté d’expression. Des procès sont toujours possibles quand les mensonges ou les agressions verbales sont énormes. Mais combien de temps s’écoulera entre le venin diffusé sur le Net et la sanction contre leurs diffuseurs ? D’où la responsabilité de ceux qui tendent micros et caméras à ces forbans de la rhétorique. Tous les jugements, toutes les réflexions, toutes les analyses ne se valent pas. Dire en substance que Pétain et de Gaulle c’est blanc bonnet et bonnet blanc au regard de leur action pendant la guerre, c’est réhabiliter le premier et c’est dénigrer le second. On peut toujours se dire, comme Talleyrand, que tout ce qui est excessif est insignifiant. Mais l’abondance de l’insignifiance occupe trop le terrain pour la laisser se substituer au vrai débat digne d’une démocratie.