Élégant, toujours – L’édito de Patrice Chabanet
La profusion d’hommages rendus à Jean d’Ormesson n’est pas un exercice convenu. Elle donne la mesure de la trace laissée par l’écrivain et l’académicien. Elle fait jaillir une gerbe de qualificatifs qui cernent bien le personnage : élégant, séduisant, pétillant, épicurien, malicieux, racé. Autant de qualités qui le rendaient inclassable : grand bourgeois, il assumait totalement ses convictions de droite, mais il ne les portait pas en bandoulière pour attaquer ses adversaires. Il aimait dialoguer avec ceux du camp d’en face pour s’enrichir de leur art. Il citait volontiers Aragon le communiste et il nourrissait une complicité évidente avec Mitterrand le socialiste. Entre gens de qualité, le courant passe toujours, au-delà des divergences ou peut-être même à cause d’elles. Malgré l’avancée des ans, il savait éviter les pièges des nostalgies faciles. Il abhorrait le « c’était mieux avant », avec cet argument implacable : « comment choisir entre Hitler et Staline ». Sa littérature exhalait le parfum du bonheur de vivre, sans être dupe pour autant : son questionnement métaphysique était sous-jacent.
L’actualité est parfois aussi malicieuse que l’était Jean d’Ormesson. Le jour même où disparaissait l’homme de culture, le magicien des mots, on apprenait que les petits Français savaient de moins en moins lire et que ceux qui y parvenaient ne comprenaient pas toujours ce qu’ils lisaient. Un constat affligeant. Combien seront-ils à se noyer dans leur inculture ? A se lancer dans la vie du mauvais pied ? A osciller entre échecs et rattrapages. ? Jean d’Ormesson a toujours reconnu que ses humanités avaient balisé son parcours de vie, mis en éveil permanent sa curiosité, nourri son humour ciselé, en le plaçant hors de portée des marécages de la médiocrité. Un message qu’il convient de ne pas oublier.