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Interview du Dr Dupont : « j’ai eu la joie de voir beaucoup plus de malades guérir »

Après 34 ans de présence à Chaumont en tant qu’oncologue, Gilles Dupont a décidé de partir à la retraite. Ce docteur profondément humain a un regard acéré de la médecine actuelle. Retour sur son itinéraire, l’évolution de la cancérologie, ses irritations et le devenir de la profession.

JHM : Dans le milieu des années 80, comment vous êtes-vous retrouvés en Haute-Marne ?

Gilles Dupont : Après un cursus parisien dans divers services de cancérologie, je devais effectuer une année de remplacement réguliers pour m’occuper de la chimiothérapie à la clinique de Chaumont de février 1986 à février 1987. J’étais alors dans une situation de croisée des chemins. J’avais pu découvrir la Haute-Marne, la clinique et surtout les Haut-Marnais que j’ai rapidement aimés. Quant le radiothérapeute de l’époque, le docteur Cojan m’a proposé une installation, c’est donc avec un grand enthousiasme que j’ai accepté.

JHM : A l’époque, quelle était la médecine pratiquée ?

G. D. : Les conditions d’exercice étaient idéales. Un chirurgien que j’ai admiré, le Dr Philippe De Rollat, nous disait souvent : « nous travaillons dans un mini CHU ».

J’avais choisi cet établissement sur la foi du principe qui donnait à chacun le même droit à la parole et une participation à la décision en proportion de la responsabilité qu’il assumait. C’était, au regard de notre déontologie et de notre éthique, la justification du libéralisme de l’hospitalisation privée. La “Constitution” de l’époque permettait à chacun la possibilité de faire valoir sont point de vue de médecin au sein du Conseil de surveillance. Nous avions même pu mettre en place, à un moment, la participation des salariés aux bénéfices.

JHM : Et sur le terrain, cela se concrétisait comment ?

G. D. : Nous n’avions pas la posture qui consiste à considérer les malades, le personnel et les médecins comme des choses qui font perdre ou gagner de l’argent. Les relations étaient tout à fait courtoises avec le Centre hospitalier de Chaumont. Il y avait des échanges fréquents et confraternels. C’est ainsi qu’un certain nombre de confrères de la clinique avaient des vacations à l’hôpital. Ce fut mon cas de 1993 à 2000.

JHM : Pour aller encore plus loin après mais était-ce tenable ?

G. D. : En 2000, j’ai accepté le poste de praticien hospitalier à temps partiel que m’a proposé le Dr Bernard Simon. J’ai donc travaillé pendant 15 ans dans les deux établissements, le public et le privé, trouvant ainsi une complémentarité au service des patients. Cet exercice fut épuisant par la disponibilité et les contraintes qu’il imposait.

En octobre 2013, sous le poids d’une activité trop soutenue, j’avais eu la tentation de partir à Chaumont pour intégrer le centre anti-cancéreux de Nancy. Le contrat était signé. Mais, devant la déception de mes malades et le soutien sans faille de beaucoup de soignants, j’ai décidé de poursuivre jusqu’au bout mon activité sur Chaumont.

J’ai arrêté mon activité à l’hôpital en 2015 pour me consacrer uniquement à mon service au sien de la clinique. Je m’occupais du service de chimiothérapie ambulatoire que j’avais créé, de mes consultations ainsi que de mes malades hospitalisés. J’assumais ainsi une prise en charge intégrale des patients, y compris leur suivi post traitement, leur suivi en phase palliative et quelque fois, hélas, en phase terminale.

JHM : Est-ce que l’oncologie a évolué durant toutes ces années ?

G. D. : Cela n’a pas changé. La cancérologie reste une médecine globale du soma mais également de la psyché. Les échanges avec les malades et leur famille sont très riches, souvent très émouvants après quelquefois de très longues prises en charge.

J’ai pu voir se mettre en place de nouveaux concepts thérapeutiques, participer à des études cliniques, m’attacher à une meilleure prise en charge de la douleur, mettre en place des réunions de concertation pluridisciplinaire en cancérologie. J’ai eu la joie de voir beaucoup plus de malades guérir ou mis en rémission complète de qualité pendant de nombreuses années en dépit d’un mauvais pronostic initial.

JHM : L’humain est une donnée essentielle dans cette spécialisation ?

G. D. : La science a bien sûr ses limites. J’ai pu, avec l’ensemble des équipes médicales, accompagner les patients en fin de vie dans une relation humaine préservée étant très attaché au soulagement de la douleur physique et psychique.

Les relations privilégiées faites de confiance et souvent d’affection avec les malades et leur famille ont été facilitées par une prise en charge de proximité. L’exercice particulier de la cancérologie demande cette exigence. L’oncologie et les soins palliatifs imposent aussi un cheminement personnel par rapport à la mort.

« Les petites mains et toute la beauté du monde »

JHM : Rien n’aurait pu être possible sans toutes les personnes au sein des services ?

G. D. : Je voudrais justement rendre hommage aux équipes médicales avec qui j’ai eu le bonheur de travailler et que j’admire pour leur abnégation et leur sens du Devoir malgré un environnement de plus en plus difficile. Je pense, en particulier aux infirmières, aides-soignantes. Ces petites mains au service des malades représentent pour moi toute la beauté du monde. Un simple gant passé par une aide-soignante sur le visage d’une personne souffrante est bouleversant d’humanité.

Je pense aussi aux ambulanciers et brancardiers qui sont les chevilles ouvrières des soins dispensés par les équipes ainsi qu’aux agents des services hospitaliers, les personnels paramédicaux, les secrétaires et personnels d’accueil qui font souvent office de réceptacles pour les patients après une mauvaise nouvelle. Je tiens, ici, à saluer leur gentillesse et leurs sourires.

Je pense enfin aux kinésithérapeutes, psychologues, pharmaciens sans oublier les bénévoles d’associations comme ceux de la Ligue contre le cancer lorsqu’ils avaient la disponibilité d’intervenir. Je voudrais également saluer l’équipe mobile de soins palliatifs et les services de l’hospitalisation à domicile pour leur travail de fond dans l’intimité des patients où beaucoup de choses se jouent, où la parole se libère quelquefois dans les familles.

JHM : Vous êtes aussi président départemental de l’Ordre des médecins depuis 2008. Or, le niveau national est malmené et parfois remis en cause. Qu’en pensez-vous ?

G. D. : Dès octobre 1945, sous l’autorité de ministre de la Santé du Général de Gaulle Pierre Billoux, l’ordonnance du 24 septembre 1945 crée définitivement le “Conseil de l’Ordre des médecins” dans lequel ses représentants sont élus par leurs pairs.

Il faut ainsi tordre le cou à l’idée parfois répandue et relayée par quelques esprits chagrins et mal informés que le conseil de l’Ordre actuel serait une “émanation de Vichy”. L’idée remonte, en fait, de 1845.

JHM : Au niveau départemental, comme cela se passe-t-il ? Et surtout, allez-vous poursuivre votre mission ?

G. D. : Nous travaillons efficacement dans toutes les missions qui relèvent de notre compétence. L’Ordre est un organisme de droit privé avec délégation de service public. A ce titre, il représente l’État dans toutes les missions qui lui sont confiées.

Je voudrais saluer tous les membres du conseil de l’Ordre de Haute-Marne pour leur dévouement. Et, même si je prends ma retraite professionnelle, je souhaite continuer mon implication ordinale. Les chantiers sont nombreux dans la période que nous traversons tous. Il faut gérer la situation liée à la Covid avec toutes ses conséquences directes et indirectes ainsi que tous les problèmes micro et macroéconomiques qui vont en découler. Il y aura et il y a déjà des situations dramatiques auxquelles les médecins, et en particulier les médecins généralistes, sont confrontés.

Il faut replacer les soignants publics et privés au cœur du dispositif de santé de notre Pays. Il est sûrement nécessaire de sanctuariser l’hôpital et de donner des règles éthiques où la qualité des soins passe en priorité avant les dividendes de l’actionnariat.

« Etre soucieux que des spécialités ne disparaissent pas »

JHM : Le paysage médical a fortement changé depuis le début de votre carrière. Que pouvez-vous en dire ?

G. D. : La création des agences régionales de l’hospitalisation puis des agences régionales de santé a modifié la gouvernance de la santé avec, en corollaire, pour l’hôpital, l’instauration de la tarification à l’activité (T2A). Je n’ai pas vraiment constaté d’amélioration très significative depuis cette prise en main par un appareil administratif souvent complexe et ignorant quelquefois la réalité du travail des soignants.

Cependant, comme dans toutes ces périodes difficiles, quelques individualités se détachent. Je tiens à saluer le directeur territorial de l’ARS de notre département ainsi que la directrice de la CPAM avec qui le dialogue est facile.

Beaucoup d’établissements privés, pour survivre, ont été rachetés par de grands groupes. Une autre logique est apparue. Tout en conservant le respect, au moins dans les cliniques de Haute-Marne, d’une médecine de qualité, nous devons être vigilants sur la notion d’éthique médicale et être soucieux que des spécialités ne disparaissent pas.

JHM : Face au désert médical qui gagne du terrain, que faire ?

G. D. : J’ai eu la joie de voir arriver à la clinique de Chaumont une nouvelle génération de médecins. J’insiste sur le rôle fondamental de transmission et d’accompagnement des plus anciens vers les plus jeunes. Le mot confraternité prend ainsi tout son sens.

Le recrutement des médecins est de plus en plus difficile et l’on voit bien tout l’enjeu des prochaines années où il faudra collaborer étroitement avec les municipalités et les organismes de tutelles pour attirer les jeunes médecins. Ce n’est pas forcément dû à un manque de médecins nouvellement formés mais c’est avant tout un problème d’attractivité. Il faut donner l’envie aux jeunes confrères de s’installer dans un département rural tant en médecine libérale qu’en médecine hospitalière. La Haute-Marne doit se faire connaître sur tous ses aspects positifs et ils sont nombreux…

JHM : Que devient le service oncologie ? Avez-vous un successeur ?

G. D. : J’avais pris la décision d’arrêter mon activité fin 2018 mais, en l’absence de successeur, j’ai prolongé jusqu’à l’échéance de décembre 2020. Je tiens à souhaiter bonne chance au Dr Laurence Mengué, oncologue radiothérapeute, qui prend le relais pour mon activité d’oncologie médicale. Il s’agit d’une consœur de qualité qui a commencé à exercer depuis juin dernier et avec qui j’ai pu effectuer un “tuilage” efficace pour les patients que je suivais encore.

Je tiens également à remercier mes collègues oncologues du centre Georges François Leclerc de Dijon, les Drs Sylvia Ilie et Aurélie Lagrange qui consultent le jeudi grâce à une convention signée en septembre 2019 entre la clinique de Chaumont et ce centre.

JHM : Un dernier mot ?

G. D. : Je terminerai par un hommage appuyé à tous les malades et leur famille que j’ai pu croiser durant ma carrière professionnelle. Ils m’ont tant apporté.

Propos recueillis par Frédéric Thévenin

f.thevenin@jhm.fr

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