Saez : « Parler au corps et à la tête »
Damien Saez sera au Zenith de Dijon le 28 avril (2010). Entre deux répétitions, il nous a accordé quelques minutes pour nous parler de « J’accuse », son dernier album et de la tournée qui débutera le 22. Du Saez pur et dur, taillé pour la scène.
Votre album « J’accuse » est sorti le 28 mars. Avez-vous déjà des retours, non des critiques, mais plutôt du public ?
Je pense qu’il y en a des tas sur Internet, mais ça n’est pas un truc que je vais voir en fait. Déjà, je suis en répétitions pour la tournée, et de toute façon ça n’est pas que je m’en fous mais, moi j’ai fait mon truc en fait. Après, que ça soit apprécié ou pas, je pense que je le verrai en concert surtout. J’ai une tendance à plus lire la presse écrite quand même ; en revanche, les blogs etc… on y lit un peu tout et n’importe quoi ; tout le monde a son mot à dire…
Et pour reprendre les paroles d’un de vos titres, qu’en pense Marguerite, des chansons de votre dernier album (« Marguerite, qui n’aime pas mes chansons… ») ?
(Rires). Marguerite… je sais même plus où elle est. Mais ça, je trouve que c’est une des chansons qui va vraiment fonctionner en concert. En tout cas c’est l’une de mes préférées.
Revenons brièvement sur l’affiche de votre tournée (une femme nue dans un chariot de supermarché, qui s’affichait dans le métro et a provoqué une polémique pour atteinte à la dignité humaine). Ne pensez-vous pas que cette polémique vous a, au final et malgré vous, plus servi que l’inverse ?
Non pas du tout, parce qu’aujourd’hui, ça n’est pas évident de remplir les salles ; parce que les chiffres de ventes sur la première semaine sont équivalents aux chiffres de ventes de Varsovie (ndlr : album beaucoup plus intimiste). Certes, les fidèles qui me suivent depuis plus de dix ans maintenant sont toujours là et pour eux, ça n’a pas changé grand-chose mais, quand même, on parlait ici d’affichage pendant un mois et vu la teneur de l’image, les 4 x 3 auraient fait réfléchir différemment que ce débat de Tartuffes. Parce que là, vu qu’il y a un débat, on va se dire « mais est-ce que c’est fait pour la promo » ! Je m’en serais bien passé.
En ce qui concerne la tournée, vous souhaitiez jouer le dernier album chronologiquement, un peu comme une histoire. Mais vouliez aussi y intégrer d’anciens titres. Est-ce que les répétitions permettent actuellement de commencer à trouver une trame au spectacle ?
Je n’ai personnellement pas de problèmes à jouer les anciens titres. En revanche, c’est vrai qu’il y a des titres qu’on a plus plaisir à jouer en acoustique, comme si on était dans un bar, alors que « J’accuse » est très rapide en débit. Si on prend « Pilule » ou « Lula », c’est des chansons qui sont très rapides en termes de tempo et on est presque là dans une question « sportive » en fait. C’est là la vraie difficulté. Mais bon, ça va fonctionner, on va y arriver.
Justement, quand on se lance dans une tournée avec un album d’une telle intensité, se prépare-t-on physiquement d’une manière particulière ?
Obligé ! Je dois aller courir, parce que j’ai passé un an à ne faire marcher que mes méninges. Quand on se lève, qu’on va au studio et qu’on reste derrière la console toute la journée et puis qu’on rentre et qu’on dort, on n’a même pas l’état de quelqu’un qui se lève et qui va au travail normalement. Donc passer de ça à deux heures et demie de concert sous 45 degrés… il faut aider son cœur, on va dire… Et justement, ce disque a été fait avec dans l’idée d’aller le jouer sur scène ; il faut qu’il parle à l’énergie et au corps. Il faut que le concert parle autant au corps qu’il parle à la tête.
Vous serez le 28 avril au Zenith de Dijon. Vous avez laissé pas mal de souvenirs là bas (Damien Saez y a passé une bonne partie de son adolescence). Vous vous attendez à un moment particulier où vous l’abordez comme une autre ville ?
Je ne peux pas aborder ça comme une autre ville. Affectivement, ça ne m’est pas possible. C’est là que j’ai commencé le piano, c’est une ville que j’ai fuie mais qui m’a fait également. Donc c’est très paradoxal. J’ai aussi des souvenirs de profs ! A un moment donné, pour se dire qu’on va écrire des chansons, il faut avoir LE prof au bon moment, qui donne envie de se mettre à lire, d’être intéressé par les mots en fait. Et ça, c’est, je pense, la chose la plus chouette qui me soit arrivée : le piano, le Conservatoire et puis cette prof de français que j’avais en seconde, qui m’a donné envie… Et ça fait bien un an et demi que je ne suis pas retourné à Dijon…
On connaît votre amour des mots, de Brassens et Ferré… Si on vous dit que vous en avez la même force, mais en ayant su réadapter de façon plus moderne leur message ?
Quand je me regarde dans le miroir, je trouve que j’ai encore énormément de chemin à faire. Et c’est justement ce qui me fait me lever le matin. Le fait de me dire qu’il y a encore énormément de choses en terme d’écriture, que ça peut aller beaucoup beaucoup plus loin. Maintenant, ce que je sais, c’est que ces gens-là, je les ai découverts dans la discothèque de la famille, ce ne sont pas mes parents qui m’ont poussé vers eux, et j’ai digéré ça depuis que j’ai 5 ans. Donc en fait si je devais prendre ce compliment énorme, je dirais que c’est un être moderne qui a digéré tout ça. S’il y a quelque chose, on peut plutôt parler de filiation. C’est faire le même métier. En tout cas j’espère qu’à la fin de ma vie, je pourrai dire que j’ai apporté ma pierre à l’édifice de ce métier. Qui est bien différent du métier d’autres chanteurs…
Il y a onze ans maintenant, vous chantiez « Jeune et con ». Aujourd’hui, referiez-vous ce morceau de la même façon ?
Non. La société n’a pas vraiment évolué depuis onze ans, seulement, elle n’a jamais autant été basée sur l’accessoire. Je pense que les politiques n’ont jamais eu aussi peu de pouvoir qu’ils en ont aujourd’hui, au niveau économique. L’économique n’a jamais été autant le dictateur de nos quotidiens à tous. Et ça, c’est une lutte à entreprendre chez soi en fait. Quelque part, on n’a pas à déléguer ça aux politiques. Ils n’y peuvent plus rien aujourd’hui. C’est un peu ce que j’ai essayé de dire dans ce disque. Maintenant, mon premier album (Ndlr : « Jours étranges »), j’en ai toujours été extrêmement fier, dans le sens où j’avais déjà des chansons plus matures que ce premier album au moment où il est sorti. Mais je voulais absolument qu’il soit cette photo du môme de 18 ans que j’étais. Je pense que quand on vieillit, on a plus plaisir à regarder une photo de soi étant jeune ; assumant d’être jeune en fait. Le truc, ça n’est pas de refaire ce qu’on a fait dans le passé.
Le rêve le plus fou de Damien Saez ?
Ca va sonner stupide… mais mon rêve le plus fou serait de m’occuper d’animaux dans le Nord du Canada (rires). En plus, j’ai toujours ce sentiment que partir à l’étranger permet de se rapprocher de son propre pays et de sa propre langue, parce qu’on prend une distance, on se libère l’esprit. En plus, on parle d’endroits un peu « gelés », mais en outre, je ne peux plus supporter Paris (rires), son esprit. C’est clair que je me sens beaucoup plus en phase avec un cultivateur qu’avec un dandy parisien.
On ne doit donc pas beaucoup vous voir dans les soirées parisiennes…
Non, et on ne m’y aime pas des masses… mais c’est de bonne guerre ! J’essaie au final d’être en phase avec ce que je dis, d’être logique avec moi-même et j’ai la chance de pouvoir le faire ! En conclusion, pour revenir à Brassens par exemple, quand on voit qu’il a fini sa vie avec un chauffeur qui travaillait gratuitement et un restaurateur qui lui apportait la bouffe parce qu’il n’avait pas de quoi la payer, pour un artiste, quand on finit sa vie comme ça, c’est déjà qu’on a réussi. Passer sa vie à chanter et à écrire, c’est quand même être hors du temps. Déjà pour moi, c’est une chance énorme !
Propos recueillis par Christophe Bonnefoy