Commentaires (0)
Vous devez être connecté à votre compte jhm pour pouvoir commenter cet article.

Affaire Meunier-Ardinat-Bruyère – 4ème journée

Vingt ans de réclusion pour les meurtriers de Cyrille Segard

Après avoir écarté tout acte prémédité, magistrats et jurés ont déclaré Kévin Bruyère, Steven Ardinat et Mathieu Meunier coupables de meurtre et condamné les trois accusés à vingt ans de réclusion criminelle. Les meurtriers ont tenu à présenter leurs excuses à la famille du défunt.

 

Assassins ou meurtriers ? Magistrats et jurés auront forgé leur intime conviction au terme de quatre jours de procès marqués par l’atrocité des violences perpétrées par Kévin Bruyère, Steven Ardinat et Mathieu Meunier. Au terme de trois heures de délibérations, magistrats et jurés ont écarté tout acte prémédité et déclaré les trois accusés coupables de meurtre. Ne distinguant aucun degré de responsabilité, la Cour d’assises a condamné le trio à vingt ans de réclusion criminelle. Une peine assortie d’une période de sûreté de treize ans notifiée à l’encontre de Kévin Bruyère et Steven Ardinat.

Les réquisitions de l’avocat général auront partiellement été suivies. Quelques heures avant le verdit, Géraldine Moré avait caractérisé des faits d’assassinat et requis vingt ans de réclusion criminelle. Les assassins présumés sont des meurtriers : tel est l’épilogue d’un procès n’ayant pas permis aux parents et proches du défunt de connaître les circonstances exactes du massacre en règle survenu le 16 juillet 2009.

Le procès aura révélé toute la complexité de l’être humain. Habités par des scènes d’une extrême violence, les accusés ne seront pas parvenus à assumer leurs actes devant la famille de Cyrille Segard. La mère et les enfants du défunt espéraient savoir pour mieux comprendre, comprendre pour mieux savoir… Il n’en fut rien. «La vérité est au fond d’un puits», notera avec justesse Maître Henriot.

Distinctes par leurs fonds et par leurs styles, les plaidoiries des avocats de la défense auront participé à la réflexion de magistrats et jurés. «Quand il sortira du box, Mathieu sera toujours à vos pieds, vous allez prendre l’arme, vous avez le pouvoir de tuer cet homme, de le briser, vous allez devoir prendre cette pierre, un coup suffit, il est allongé devant vous, il ne bouge pas, mais il est vivant, qu’allez-vous faire de cette pierre, la lâcher ou la retenir ? Mon rôle aujourd’hui est de vous demander de retenir cette pierre», a souligné Me Henriot, conseil de Mathieu Meunier, au terme d’une poignante plaidoirie.

«Je vous demande pardon»

Conseil de Kévin Bruyère, Me Charlot s’est habilement attaché à battre en brèche toute préméditation. «Ce dossier, sincèrement, est l’antithèse d’un dossier où la préméditation peut être retenue, a affirmé l’avocat. Dans la panique la plus totale, ils ont voulu masquer les preuves d’un décès qu’ils pensaient acquis, le décès d’un homme dans le coma, un homme au pouls inexistant.»

Clôturant les plaidoiries de la défense, Me Gambini – avocate de Steven Ardinat – a rappelé le lourd passé de son client, une réalité commune aux trois accusés. «Une personnalité est comme une maison, si les fondations sont pas bonnes, la maison est bancale et elle le restera si un bon maçon n’intervient pas, a souligné l’avocate. Je ne veux pas déresponsabiliser Steven, mais il n’a pas débuté dans la vie avec les mêmes chances que beaucoup d’autres.» Hommes et femmes ne naissent pas libres et égaux… Confrontées à diverses souffrances au cœur de leurs tristes enfances, Kévin Bruyère, Steven Ardinat et Mathieu Meunier ne seront pas parvenus à trouver la voie de la maturité et de la sagesse malgré une succession de mesures judiciaires et socio-éducatives. Le procès aura ouvert une fenêtre sur une misère souvent occultée, sur la vie de gens de peu cloisonnés dans une vie de quartier minée par rumeurs et rivalités futiles.

Au terme des plaidoiries de leurs avocats, les accusés ont tenu à exprimer regrets et excuses. Seul Kévin Bruyère sera parvenu à fixer du regard les parents de la victime. «Je vous demande pardon», aura lancé l’accusé. «Pardon accepté» : la réponse de la mère de Cyrille Segard ramenait l’assistance à la grandeur de l’être humain après quatre journées empreintes de l’atrocité du meurtre sauvage d’un père de trois enfants.

 

Extraits de la plaidoirie de Maître Gromek (avocate représentant la mère de la victime)

«Pensez à la mère de Cyrille !»

Me Gromek : «Monsieur le président, mesdames de la Cour, mesdames et messieurs les jurés, je suis devant vous pour vous parler d’une voix dont on ne parle habituellement jamais, la voix d’un mort. On peut dire tout ce qu’on veut sur les absents. Cyrille Segard est présenté comme un homme agressif buvant du soir au matin, je n’en sais rien, il n’est plus là ! Il est plus facile pour les accusés d’aborder des choses aussi difficiles en l’absence de la victime. Cyrille Segard n’était pas un saint, mais sa mort n’est pas plus répréhensible que celle de Mohamed Merah ou des deux gendarmes récemment tuées. La valeur de la vie d’un homme est la même qu’on soit noble, puissant ou faible. (…) Je suis là pour parler de l’absent, le silencieux, je suis là, pour la première fois, afin de vous parler au nom d’un mort. Cyrille était avec les trois accusés le 16 juillet 2009, mais nous ne connaîtrons jamais sa version. (…) Je ne suis pas là pour idéaliser le grand absent ou diaboliser les trois accusés, mais nous tous, nous devons à Cyrille de regarder en face les violences acharnées et les souffrances subies par cet homme, un homme seul ! Pourquoi n’ont-ils pas dit la vérité ? Dans le cas où ils soient partis sur les lieux du crime sans la moindre arrière pensée et que la situation dérape, le réflexe humain serait de dire “je n’y étais pas”, dans notre situation, nous avons des explications et des mémoires à géométrie variable, tantôt on se souvient d’un détail, tantôt on oublie les choses les plus atroces. Mettre en feu à un homme en vie, lâcher une pierre de huit kilos à plusieurs reprises, ne pas dire “oui, je l’ai fait” peut être humain, compréhensible. (…) Toutes les versions comportent des parcelles de vérité, ils ont été contraints de mentir parce que l’explication “nous ne voulions pas en arriver là” ne tient pas. (…) Nous avons des versions plus délirantes les unes que les autres. (…) Ils acceptent de boire avec Cyrille, pas à l’appartement du père de Steven Ardinat, mais dans un bois, à l’abris, Cyrille a l’audace de vouloir partir, pour avoir eu cette audace, il reçoit les premiers coups, il tombe, on le relève et on le rassied. (…) Cet homme décrit comme agressif ne va pas en découdre ! Ensuite, on lui reproche une dette liée à un pseudo vol. Comment Cyrille aurait-il pu voler 600 euros au père de Steven Segard, un homme gagnant 400 euros par mois et buvant tout son argent ? (…) Ils ont décidé de châtier Cyrille, Ardinat parle de “petites gifles”, permettez moi de ne pas y croire un seul instant ! Les coups pleuvent, Cyrille ne bouge pas. (…) Les coups continuent de pleuvoir, Cyrille essuie un coup de pied, il est en sang, au sol, inanimé et à ce moment là ils entendent tous des bruits qu’ils qualifient de ronflements. Le médecin légiste l’a dit, l’état de Cyrille pouvait entraîner des bruits similaires à des ronflements. Ils n’ont pas pu l’inventer ! (…) La suite est une succession de mensonges. Meunier et Ardinat étaient soit-disant partis chercher de l’eau, ils reviennent, ils ne perlent de rien à Bruyère et ce dernier, de nuit, sait quelle bouteille prendre dans le sac. De qui se moque t-on ? La vérité, c’est qu’ils ont parler de l’essence avant le départ de Meunier et Ardinat vers l’appartement. (…) Ils avaient conscience que Cyrille n’était pas mort, il était vivant, Bruyère verse l’essence pour le tuer, il ne faut pas que Cyrille parle, il faut terminer le travail, “aller jusqu’au bout” comme le dit l’un d’eux. Sans difficulté, on met le feu à un corps humain avec un briquet, l’horreur était suffisante à ce stade, mais dans un sursaut de survie, Cyrille bouge et on prend une pierre et on la jette, trois fois. (…) Ils sont tous dans le même bateau, on fait chacun pareil, on tape pour faire comme les autres. On peut concevoir que Meunier et Ardinat ne puissent assumer ce geste atroce, mais Bruyère l’assume et le raconte avec une froideur qui m’a donné des frissons. Imaginez le temps qu’à duré cette scène et les souffrances subies par la victime. (…) Deux zones de combustion sont visibles, aucun ne dit avoir traîné le corps, mais deux des accusés ont déclaré à des moments différents que Cyrille s’était levé avant de retomber plus loin. (…) L’agonie a été longue et douloureuse, ça ne leur a fait ni chaud ni froid. Comment est-ce possible ? Nous n’aurons jamais la réponse ! Pourquoi se sont-ils acharnés comme ça ? Je n’ai pas de réponse ! Deux des trois accusés disent voir rencontré Dieu, mais pour qui se sont-ils pris pour infliger de telles souffrances à un homme, pour Dieu ? Cyrille n’avait rien demandé à personne, Cyrille était un être humain avec ses qualités et ses défauts, c’était certainement une grande gueule, il picolait, mais on ne mérite pas de finir comme ça ? Cette homme avait été condamné, mais il avait payé sa dette ! A 38 ans, à sa sortie de prison, il avait la vie devant lui. (…) Cyrille était faible, il a replongé dans l’alcool après trois ans d’abstinence, mais sa vie n’était pas terminée, il pouvait s’en sortir et ces trois personnes en ont décidé autrement, Cyrille n’a plus d’espoir, plus d’avenir, il est mort ! (…) Je vous demande de regarder les choses en face, le narcissisme et l’arrogance des accusés m’inquiètent et votre rôle est de prononcer une juste peine sans oublier une chose : Cyrille a été condamné à perpétuité ! (…) Je n’ai pas entendu la moindre émotion dans leurs déclarations, après trois ans de prière et de lecture de la Bible, raconter “j’ai pris l’essence, il l’a allumé, j’ai jeté une pierre de huit kilos” avec une telle froideur est inquiétant. (…) Ces jeunes ont grandi sans aucun repère à la loi, les parents viennent dire “il a fait une bêtise”, tuer un homme n’est pas une bêtise, mais quand on a grandi en étant excusé de tout, on ne trouve pas de limites et on va très loin, les trois accusés ont poussé les limites à l’extrême, tuer son prochain est le tabou suprême ! (…) La peine que vous prononcerez leur permettra de prendre conscience de l’horreur de leurs actes. (…) Je ne sais ce que vaut la mort d’un homme, je ne sais pas ce que valent des actes aussi barbares, je vous demande de penser à Cyrille, à défaut d’avoir obtenu la vérité, vous devez ne pas oublier qu’il est mort. Je pense à cette phrase de Malraux : “La mort n’est pas une chose si sérieuse ; la douleur oui !” Pensez à la douleur de la mère de Cyrille à une âge où on envisage sa propre disparition, pas celle de son fils. Pensez à cette mère !»

 

Extraits du réquisitoire de l’avocat général

«Un monstre à trois têtes»

Géraldine Moré : «Après trois journées passées au cœur d’un crime atroce et des vies édifiantes des trois accusés, il est indispensable de prendre un peu de recul et de hauteur. (…) Vous montrer des photos du corps et du crâne de la victime n’avait pas pour but de vous traumatiser, la litanie des coups répertoriés par l’expert avec des termes médicaux n’était pas forcément accessible, projeter ces photographies a pu vous permettre d’avoir une juste conscience des faits. J’ai demandé aux parties civiles de communiquer une photo de Cyrille Segard afin de donner une autre image de cet homme. Prendre du recul, c’est regarder objectivement les choses, sans haine et sans colère, on ne rend pas une bonne justice en se focalisant sur ses propres émotions. Au nom de la société, je vais réclamer une peine, il vous faudra trouver un bon équilibre afin de prononcer la peine la plus juste possible. (…) Ce crime est hors du commun, il n’est pas commun de voir un tel acharnement. (…) Ce dossier est la parfaite démonstration des ravages de l’effet de groupe. A eux trois, ils n’ont fait qu’un, chacun avait besoin du groupe pour exister, un monstre à trois têtes a commis l’irréparable, mais ces hommes ne sont pas des monstres même si leurs actes sont monstrueux. (…) Dans “Mangez-le si vous voulez”, Jean Teulé décrit un crime commis en 1870 dans le Périgord, un jour de marché. Un jeune homme dont le cousin aurait dit “vive la République” est victime de la rumeur, il est pris à parti par la foule, ses assaillants vont finir par le tuer. On commence à jeter des pierres avant d’en arriver au point qu’un maréchal-ferrant ne ferre la victime aux pieds. Le maire et le curé n’ont pas su contenir la foule. A un moment, des hommes disent “il faut le brûler” et le corps a été jeté dans un bûcher. Désabusé, le maire dit “si on en est là, mangez le” et des personnes viennent imprégner des morceaux de pain de la graisse du corps jeté au bûcher. Tout le monde avait bu. Le lendemain, les villageois ont pris conscience de leurs actes. (…) Ces trois jeunes n’ont pas mesuré les conséquences de leur crime et trois ans plus tard, nous en sommes quasiment au même point. Seul, aucun n’aurait commis ces actes atroces. Etre trois contre un est beaucoup plus facile. (…) Cyrille Segard n’était pas une brute épaisse que tout le monde craignait, cet homme faisait plus pitié qu’autre chose, il buvait à en tomber tous les soirs. (…) Ardinat, Meunier et Bruyère avaient grandi, ils n’avaient plus peur de Segard, ils en avaient assez qu’on les traite le gamins, ils avaient joué aux grands en multipliant les délits. (…) Chacun des trois accusés avait un contentieux plus ou moins récent et plus ou moins important avec Cyrille Segard, mais il y avait de la haine envers lui. Meunier avait été la tête de Truc de Cyrille Segard, Steven Ardinat reprochait à la victime de ne pas avoir rembourser une dette dû à son père et une altercation entre Cyrille Segard et Steven Ardinat quelques jours plus tôt lors d’un barbecue. Kévin Bruyère s’était intervenu ! Ces éléments n’expliquent pas le déferlement de violence dans son intégralité, la première claque a ouvert une brèche. (…) Chacun a essayé de titiller Segard. A trois contre un, face à un homme ivre, les accusés poussent, relèvent et assoient Cyrille Segard, il est facile de s’en donner à cœur-joie face à un homme ivre, en pleurs et acculé. Ces violences s’achèveront par un supplice terrible, on jette une pierre sur le visage, le symbole n’est pas anodin ! (…) Les personnalités des accusés ne pouvaient mener qu’à une telle fin. (…) Tous ont des casiers et des parents niant les difficultés. Tous les gamins n’ont pas été condamnés à onze, dix et deux reprises. Une condamnation de Meunier regroupe 18 délits ! (…) Tous avaient entre guillemets joué avec le feu avec le 16 juillet 2009, deux voitures avaient notamment été brûlées. (…) Imprégnés de feuilletons télévisés, ils ont voulu faire disparaître les preuves du massacre, ils ont compris, deux accusés sont partis chercher de l’essence, mais aucun ne veut assumer la décision. (…) Ils voulaient qu’il soit mort, c’est la clé du dossier. Ardinat fournit le combustible, Bruyère le verse et Meunier allume, ces faits ont nécessité un minimum de concertation. (…) Vous devrez répondre à deux questions. Ont-ils volontairement donné la mort ? Ont-ils planifié cette mort ? Vous devrez répondre à ces deux questions. L’intention de donner la mort est évidente ! Ils ont achevé la victime afin de mettre un terme à ses souffrances. Peu importe de savoir qui a fait quoi, c’est un même groupe qui a agi, dans un même temps et en un même lieu. En ce qui concerne la deuxième question, dans notre cas d’espèce, la question vise à savoir si l’idée de tuer leur est venue avant les faits. Rien n’est certain en ce qui concerne la première phase de violence, mais il y a une bascule à un moment, Segard a eu le temps de dire qu’il allait dénoncer les faits avant le coup de pied porté par Meunier. (…) Il faut un minimum de 4’45 » pour se rendre à l’appartement de père de Steve Ardinat, le temps de coucher l’enfant, le temps que Meunier se lave les mains, le temps de revenir sur les lieux du crime, il y a forcément eu une discussion. Bruyère et Ardinat ne font rien sans l’autre, ils se sont mis des œillères et ils ont voulu effacer les traces. Il est évident qu’ils avaient conscience que Cyrille Segard était toujours en vie après la mise à feu, deux zones de combustion sont repérées par les enquêteurs, je peux intellectuellement accepter qu’ils ne veulent pas le voir du fait de l’horreur de la scène, mais Cyrille Segard s’est déplacé ! (…) Devant les enquêteurs, Ardinat n’assume rien, même pas sa fuite précipitée, il est dans une négation totale des faits, il se retranche derrière son statut de père de famille, il n’a pas de notion du bien ou du mal, seule sa petite personne compte. Il ira jusqu’au raconter que sont fils était sans ses bras et non dans la poussette. Il n’est pas crédible. Il est revenu sur les lieux des faits après avoir couché son enfant ! Les deux autres ne sont pas mieux, personne n’assume l’idée du feu, aucun ne veut regarder les choses en face. (…) Il est facile de baisser les yeux devant des photographies du corps, une femme n’a pas baissé les yeux, c’est la mère de la victime. (…) Aller chez le psychologue est une bonne chose, mais Meunier compte deux procédures disciplinaires depuis son incarcération, Bruyère affiche trois procédures disciplinaires et trois condamnations pénales depuis juillet 2009 pour possession de cannabis, possession d’un téléphone portable et une agression contre un surveillant. Ardinat a participé à un mouvement collectif en mars 2011, une équipe spéciale d’intervention a dû intervenir afin de rétablir le calme dans la prison. Leur attitude en détention, leur attitude au cours de l’audience, le refus de reconnaître les faits et de les regarder en face montrent que le chemin est encore long après trois ans de détention. (…) Je vais requérir une peine unique pour les trois accusés, ce fameux monstre à trois têtes, il n’y a jamais de peine juste, mais cette peine doit être lourde, elle doit être prise en toute conscience, après une mûre réflexion. J’estime la durée d’une peine juste à vingt ans de réclusion criminelle. Il ne faut pas oublier une chose : trois enfants ont été condamnés à perpétuité.»

 

Extraits de la plaidoirie de Me Charlot (avocat de Kévin Bruyère)

«L’antithèse de la préméditation»

Me Charlot : «Monsieur le président, mesdames de la Cour, mesdames et messieurs les jurés, comment, tout d’abord, ne pas s’incliner devant la douleur incommensurable et la tristesse de cette famille au chagrin décuplé par la violence de ce crime ? (…) Mon intention n’est pas de vous choquer ou de blesser cette mère si digne. (…) Comme le dit un de mes brillants confrère, “vous devez laisser le diktat de l’affection de côté et jouer votre rôle de juré”. (…) Ce dossier, sincèrement, est l’antithèse d’un dossier où la préméditation peut être retenue. (…) Dans cette affaire aucune arme létale n’a été apportée sur les lieux, tout a été improvisé ! Chercher est alibi le lendemain du crime est contraire à à la préméditation. Dans la panique la plus totale, ils ont voulu masquer les preuves d’un décès qu’ils pensaient acquis, le décès d’un homme dans le coma, un homme au pouls inexistant. Si préméditation il devait avoir, on aurait tendu un piège, organisé un guet-apens, on l’aurait attendu avec un couteau au détour d’une ruelle. (…) Segard est passé de son plein gré au domicile du père de Steven Ardinat. (…) Personne n’aurait été cherché l’essence dans le cas où ils ne l’aient pas pas cru mort. (…) Sur le plan moral, la préméditation change tout. Un crime peut moins violent, mais un crime est beaucoup plus grave lorsqu’il est préparé froidement. (…) Le mode opératoire ayant entraîné la mort me choque, mais je vais faire un parallèle avec un autre dossier. Un salarié a un différend avec son employeur, il le violente, il pousse son employeur et ce dernier se brise le rocher. Le salarié a brûlé sa victime. Les circonstances peuvent paraître plus odieuses et atroces dans le dossier nous concernant, il y a un mélange d’alcool et de drogue, une profonde marginalité et il y a cette pierre, mais les conséquences sont les mêmes. Cette pierre nous a horrifié, elle porte encore des traces de sang, c’est le seul objet qu’on trouvé les trois accusés afin d’achever un homme voué à une mort certaine, un homme au corps brûlé à 70 %. (…) Ils ont pris ce qu’ils avaient sous la main parce qu’ils ont vu un homme souffrir. (…) Mon client est né d’un viol, d’un acte de violence, autour de lui il n’a connu que la violence à quinze jours, sept ou douze ans, on lui a transmis le gêne de la violence. Cet homme s’est construit dans un univers de violence. (…) Depuis son placement en détention, il s’instruit, il a été malmené par un avocat des parties civiles, mais il a su se maîtriser et s’expliquer et le docteur Darbourg indique qu’il peut évoluer. (…) Je vais vous lire quelques mots qu’il a rédigé et qu’il n’a pas eu le courage de vous lire.

“Je regrette affreusement d’avoir retiré une vie dans ce circonstances, j’ai conscience de la gravité de mes actes, mais je ne reconnais pas la préméditation. (…) J’ai voulu protéger Ardinat pour son fils, dont je suis le parrain, de peur qu’il tourne mal, comme moi. Je n’avais pas conscience de ce que j’avais fait, je n’arrive toujours pas à comprendre comment j’ai pu en arriver là, Cyrille Segard a pris un mauvais coup, la victime est tombée sur une pierre, elle ne respirait plus, nous avons perdu le contrôle et nous sommes tombés dans une spirale indéfinissable. Je m’en veux, mais je sais que ça ne fera revenir Cyrille. (…) Je me méprise, je n’arrive pas à me regarder en face, si un jour j’ai des enfants, comment pourrais-je leur expliquer ? Le suivi engagé en prison m’aide à me diriger vers des réponses. Plus le temps passe et plus je ne ressemble plus au Kévin que j’étais à l’époque des faits. Je demande pardon à la famille, pardon à la maman.”

Pour Kévin Bruyère, la peine comptera double, après une enfance et une adolescence gâchées, il va passer ses plus belles années derrière les barreaux. Personne n’aurait souhaité mourir comme monsieur Segard. Personne n’aurait aimé naître comme Kévin Bruyère.»

 

Extraits de la plaidoirie de Me Henriot (avocate de Mathieu Meunier)

«Vous avez une pierre entre les mains»

Me Henriot : «“Je n’ai pas de haine envers eux…” Juger sans haine est votre serment, au regard des faits, juger sans haine paraît impossible, mais il faudra que vous évacuez toute haine. Si on ne s’arrête que sur les faits, on ne peut pas juger sans haine, mais si on vous demandait de juger sans haine, vous ne seriez pas là, cette audience n’aurait aucun intérêt. (…) Je suis ici, droite, devant vous, je vous regarde, je suis la complice d’un homme, mais ça ne veut pas dire que je suis la complice d’un meurtre. (…) J’ai une conscience, je veux dormir tranquille, je ne veux pas cauchemarder, je suis certainement la complice d’un meurtrier, mais ce meurtrier reste un homme. (…) Sur les faits, je n’ai rien à vous dire, Mathieu était là, Cyrille est mort, oui, Mathieu a tué Cyrille, je ne suis pas la complice d’un meurtre et vous aurez à vous faire votre intime conviction. J’ai la mienne ! La vérité est au fond du puits, personne n’ira la chercher, on ne connaîtra jamais la vérité. (…) Mathieu a tué, il n’était pas seul, qui a fait quoi, je m’en moque, cet homme est mort et je suis l’avocate d’un homme. Mon rôle est de tenter de vous expliquer comment cet homme en est arrivé là, cet homme n’est pas un monstre et il faut comprendre comment il a pu en arriver à ces actes monstrueux. Cet homme est influençable, il ne peut pas être un meneur, il suit. (…) Mathieu n’est pas avec nous, il est habité par un sentiment d’abandon, son seul rapport à la communication a été l’obéissance à son père, il est programmé pour obéir, il ne réfléchit pas ! Il a cherché à s’insérer dans un groupe, c’est évident, le groupe qu’il a trouvé était violent, son erreur a été de vouloir entrer dans ce groupe, une fois à l’intérieur d’un groupe, il faut taper, faire comme les autres, répondre aux ordres. (…) Mathieu a été l’arme, l’arme qu’on manipule, celui à qui on fait faire le sale boulot une fois la machine lancée. (…) Mathieu n’est pas une arme dangereuse si elle n’est pas chargée, une pierre n’est pas une arme si on ne décide pas collectivement de la lancer sur la victime. (…) Seul devant Cyrille, Mathieu ne se serait pas battu. (…) Sa participation n’est pas commune à celles des autres, certes, il a tué, comme les autres, il sera condamné, comme les autres, mais la juste peine, c’est une peine, c’est paradoxalement celle qui est assez courte pour ne pas tuer un homme en ne permettant pas sa réinsertion. Cette juste peine a été proposée par le Parquet. Vingt ans, c’est vingt ans, rien ne vous permet de penser qu’il n’en fera que dix. (…) On ne ressort pas au bout de dix ans après avoir été condamné à vingt ans de prison. (…) Ne pensez pas qu’il faut lui mettre trente ans pour qu’il en fasse vingt. (…) Pour Mathieu, la juste peine sera celle qui sera différente, j’ai la faiblesse de penser que Mathieu n’est pas comme les autres et je vais vous demander d’individualiser sa peine, même symboliquement, vous pouvez lui tendre la main ! (…) En mon âme et conscience, voilà comment je vois les choses, Mathieu n’est pas là, en réalité, il est là, à vos pieds, il ne bouge et ne bougera pas, il est pourtant vivant, il est allongé devant vous. (…) Quand il sortira du box, Mathieu sera toujours à vos pieds, vous allez prendre l’arme, vous avez le pouvoir de tuer cet homme, de le briser, vous allez devoir prendre cette pierre, un coup suffit, il est allongé devant vous, il ne bouge pas, mais il est vivant, qu’allez-vous faire de cette pierre, la lâcher ou la retenir ? Mon rôle aujourd’hui est de vous demander de retenir cette pierre.»

 

Extraits de la plaidoirie de Me Gambini (avocate de Steven Ardinat)

«Prendre en compte ce que Steven est capable de devenir»

Me Gambini : «Ma tâche n’est pas facile face à la nature de l’accusation et à la dignité des parties civiles. Je crains que votre opinion soit déjà forgée. J’ai vécu la même audience que vous et je vais vous demander de ne pas rejeter mes propos. Je ne vais pas faire d’effets de manche, je suis une auxiliaire de justice, je dois faire preuve de loyauté et de probité, j’ai signe ce serment ! Quatre jours de procès , c’est finalement bien peu au regard des années de détention encourues. Vous allez devoir personnaliser les peines. (…) Steven n’est pas bavard, il n’est pas parvenu à donner sa date de naissance, non pas parce qu’il ne la connait pas, mais parce qu’il peine à s’exprimer. (…) Steven a essayé au début de l’enquête de repousser toute forme de culpabilité, puis il a commencé à réfléchir. (…) Pendant une pause, après la projection d’une série de photographies, il m’a dit “on a fait pleurer sa mère, nous sommes vraiment trop cons”, c’est une petite chose, mais si cette petite chose peut aider la famille, ça a le mérite d’être dit. Pendant la projection de ces photographies, Steven avait la tête entre les mains, en pleurs, telle a été sa réaction, on ne peut pas dire qu’il n’a pas pris conscience de la gravité des faits, il sait quelle peine il a causé. (…) Je le connais depuis 2007 et ses premières comparutions devant le juge pour enfants, il était dans son monde, il ne reconnaissait et ne comprenait pas les règles de notre monde, il était incapable de comprendre la portée de ses actes. Un enfant qui n’a pas acquis des bases solides dans les deux ou trois premières années rencontre des difficultés de construction de sa personnalité. (…) Comme le dit un psychologue, “une personne, c’est comme une maison, si les fondations ne sont pas bonne, si la maison est bancale, elle le restera sans l’intervention rapide d’un bon maçon”. Steven a été placé à l’âge de douze ans après avoir subi pendant six ans les violences de son beau-père. (…) La mère de Steven a préféré rester avec cet homme plutôt que de garder son fils ! Cette mère n’a été voir que trois fois son fils en prison depuis juillet 2009 ! Un billet de train pour Dijon vaut 16 euros, trois paquets de cigarettes ! (…) Je ne veux pas déresponsabiliser Steven, mais il n’a pas débuté dans la vie avec les mêmes chances que beaucoup d’autres. (…) Steven indique qu’il a essayé d’éteindre le feu avec des Kleenex, on a retrouvé les résidus de ces Kleenex, il a au moins eu ce geste. (…) Steven a été traité de menteur au cours de cette audience, mais il s’est mis en retrait, pourquoi mentirait-il, n’est ce pas une réaction normale ? (…) Chacun des trois accusés a donné une partie de la vérité. Comment en sommes-nous arrivés là ? Les expertises psychologique et psychiatrique donnent un début d’explication, Steven garde tout avant d’exploser, c’est l’effet cocotte-minute, ce fonctionnement, il ne l’a pas choisi ! Il a été dans l’impossibilité de se situer par rapport à la loi dès l’enfance dit le docteur Darbourg. Ca ne l’absout pas de ses faites, mais vous devrez faire l’effort d’admette qui n’était pas armé afin de réagir normalement. (…) Qu’allez-vous faire de Steven ? Quel sera son avenir ? Cet avenir, il existe, derrière les barreaux ou ailleurs. (…) Madame l’avocat général indique que Steven ne présente aucun signe de réinsertion, mais Steven a intégré les faits, un mécanisme s’est enclenché et il s’est engagé dans un suivi psychologique en juillet 2009, dès les premières semaines d’incarcération. Tous les accusés présentés devant les Assises sont loin de faire cette démarche ! Il s’est formé, il travaille en maison d’arrêt, il est suivi psychologiquement, il a fait en trois ans ce qu’il n’avait jamais réussi en 19 ans ! Le docteur Darbourg n’ouvre pas le parapluie, il parle de “réelles capacités d’insertion professionnelle”. Il reste beaucoup de travail, mais personne n’a le droit de dire qu’il sera dangereux demain, dans cinq ans ou dans dix ans. (…) Steven a compris qu’il serait condamné à un peine importante, vous pouvez la moduler a minima en prenant en compte ce que Steven est capable de devenir.»

Sur le même sujet...

Reconnu coupable d’agression sexuelle, il écope de 36 mois de prison dont 12 mois avec sursis
Abonné
Langres
Reconnu coupable d’agression sexuelle, il écope de 36 mois de prison dont 12 mois avec sursis
Tribunal correctionnel

Un homme de 38 ans a comparu détenu mardi 23 avril devant le tribunal judiciaire de Chaumont, pour agression sexuelle sur sa compagne dont il était une nième fois séparé(...)

Gifles à son épouse, avant de la poursuivre : « j'étais dans un tourbillon »
Abonné
Chaumont
Gifles à son épouse, avant de la poursuivre : « j’étais dans un tourbillon »
Tribunal correctionnel

Un quadragénaire a comparu devant le tribunal correctionnel pour violences conjugales, lundi 22 avril. Fini, le verbe, sa colère explosive s’était notamment traduite par des gifles à son épouse, le(...)

Violences aggravées sur sa mère : « je ne me croyais pas capable de faire ça »
Abonné
Valcourt
Violences aggravées sur sa mère : « je ne me croyais pas capable de faire ça »
Tribunal correctionnel

Une fille à laquelle des faits de violences aggravées sur sa mère sont reprochés. En récidive. À qui la justice a proposé un encadrement pour se libérer d’addictions délétères. À(...)