Affaire Meunier-Ardinat-Bruyère – 1ère journée
Misère et décadence
Mathieu Meunier, Steven Ardinat et Kévin Bruyère ont fait face à magistrats et jurés, hier, au premier jour d’un procès appelé à s’achever jeudi soir. L’examen des personnalités des accusés a mis en évidence des carences familiales, affectives et sociales.
Lundi 25 juin 2012, 8 h 45, tribunal de grande instance de Chaumont : balayées par la brise, des fleurs de papier crépon trônent aux fenêtres du palais de justice. Les cérémonies du Grand Pardon n’ont plus cours. Sous bonne escorte, Mathieu Meunier, Steven Ardinat et Kévin Bruyère prennent place en salle d’audience, là où nul n’absout les péchés. Si certains auront trouvé la force de pardonner, nul n’aura oublié l’atrocité du crime survenu, à Langres, dans la nuit du 16 au 17 juillet 2009, au cœur d’un terrain vague, au triste milieu de nulle part.
Les avocats des accusés récusaient trois jurés. Quatre femmes et deux hommes prenaient place aux côtés de trois magistrats. Le président Theuret énumérait les identités de treize témoins, trois experts et deux enquêteurs appelés à défiler à la barre au cours du procès. Les conclusions de l’enquête et de l’instruction témoignaient du déferlement de violence enduré par Cyrille Segard. Dans un état d’ébriété avancé, la victime aurait reçu une série de coups avant d’être aspergée d’essence. Le corps aurait ensuite été embrasé. Toujours en vie, Cyrille Segard aurait été achevé à l’aide d’une pierre. Les déclarations fluctuantes des accusés n’auront pas permis d’asseoir les responsabilités de chacun. La vérité est ainsi appelée à surgir au terme de quatre jours de procès.
Autopsie d’un naufrage
L’examen des personnalités des trois accusés aura plongé l’assistance au cœur de la misère de gens de peu. Mathieu Meunier, Steven Ardinat et Kévin Bruyère ont tous connu tribunaux pour enfants et foyers. Masquant les multiples réussites de magistrats et éducateurs, l’autopsie d’un échec éducatif et social débutait par une immersion au cœur de la triste existence de Steven Ardinat. Agé de 22 ans, le père de famille n’est pas Lantier. Sa réalité n’en est pas moins commune à la fiction romanesque de Zola.
«Je ne me souviens plus de ma date de naissance, je connais l’année, mais pas le jour. Je suis le dernier de la famille, je n’ai jamais connu mes parents ensemble», indiquait Steven Ardinat, cheveux courts, regard sombre, sourcils fournis et teint halé. Arrivé à Langres à l’âge de cinq ans, l’accusé sera placé dans un foyer haut-saônois dès ses douze ans. Trois ans plus tard, l’adolescent intègre un Centre éducatif renforcé. Comptant plusieurs condamnations pour violences, vols et autres délits, Steven Ardinat connait sa première incarcération à l’âge de dix-sept ans avant d’intégrer un Foyer d’action éducative jusqu’à sa majorité. Un passage à l’Ecole de la deuxième change et la naissance d’un enfant n’y feront rien. Ancré dans une profonde marginalité, Steven Ardinat se plaira à tuer le temps en compagnie de Mathieu Meunier et Kévin Bruyère, amis d’enfance aux lourds parcours. Condamné à onze reprises, Steven Ardinat n’aura pas effectué un total de 18 mois de prison prononcés à son encontre. Alternative à l’emprisonnement, l’accompagnement assuré par les services Protection judiciaire de la jeunesse n’aura malheureusement pas porté ses fruits.
«Discret et attachant»
«Le placement de Steven avait pour objectif de l’éloigner de son quartier, témoignait une éducatrice de la Protection judiciaire de la jeunesse. Steven était très influençable, il ne me semblait pas pouvoir être un meneur.» Une deuxième éducatrice faisait état d’une cruelle réalité. «Steven était discret et attachant, mais les problèmes familiaux perduraient, notait la professionnelle. A l’approche de la majorité, il y a eu un déclic, Steven devait suivre un apprentissage, mais ce projet n’a pas pu aboutir. Cet épisode a été vécu comme une véritable désillusion.»
Le témoignage de la mère de l’accusé illustrait les réalités d’un univers familial carencé. «Son père buvait et il était violent avec moi, j’ai connu un autre homme, il est parti, puis j’ai rencontré un nouveau compagnon, il frappait Steven. Je ne peux pas croire que mon fils ait pu faire ça, il a toujours été très gentil», soulignait la mère de famille. «Votre fils n’est plus un petit garçon, il est adulte», rétorquait le président Theuret. Un gamin de 22 ans répondant de l’assassinat d’un père de famille massacré à l’ombre d’une clairière…
Examen de la personnalité de Steven Ardinat
«Je l’aime»
«J’ai commencé à consommer de l’alcool vers 13 ou 14 ans, en soirée, avec des amis… Je consommais également des stupéfiants, uniquement du cannabis» : Steven Ardinat aura été élevé dans un univers empreint d’alcool.
Le visage miné par l’alcoolisme, le père de l’accusé a livré un discours surréaliste à magistrats et jurés. «Mon fils a toujours été gentil, il a fait des bêtises, comme les jeunes», glissait le témoin. Pressé par le président Theuret de livrer quelques éléments quant à son parcours familial, le père de Steven Ardinat sombrait dans le déni. «Mon divorce, c’est ma vie privée, soulignait l’intéressé. Je n’ai pas de soucis avec la boisson, j’ai arrêté de boire lorsque je suis arrivé à Langres. (…) Segard, je ne l’aimais pas tellement, je ne pouvais pas le voir. Je ne l’ai jamais accepté chez moi ! (…) Il y a plusieurs années, il était venu à la maison et il m’avait volé ma carte bancaire.»
Le président Theuret s’enquérait de la présence du témoin lors d’une rixe entre Steven Ardinat et son frère le soir du décès de Cyrille Segard. «Ce soir là, je dormais, ils se sont battus, comme des frangins, mais je n’ai rien entendu du tout», affirmait le père de famille, en situation d’invalidité suite à un accident du travail, drame méconnu de son propre fils.
«Vous avez fini par dire aux gendarmes que Segard était venu chez vous vers 21 h, “il puait l’alcool, il m’a servi un whisky et il est reparti”, telles sont vos déclarations. Vous avez également affirmé que Steven était très nerveux», indiquait le président. «Steven était toujours très nerveux, rétorquait le témoin. Ils ne m’ont rien dit, je n’ai rien su !» Après avoir confié s’être rendu à une seule et unique reprise à la rencontre de son fils depuis son incarcération en juillet 2009 – faute de moyens de locomotion -, le père de Steven Segard essuyait les questions de Me Gromek. «Monsieur, vous savez pourquoi votre fils est là aujourd’hui», lançait l’avocate. «Il ne peut pas avoir fait ça. Il a fait une grosse connerie, tuer quelqu’un, ça ne se fait pas», répondait le témoin dans un élan de lucidité.
«Vous avez reconnu avoir vu Segard partir avec votre fils, Mathieu Meunier et Kévin Bruyère, vous avez fini par l’admettre après avoir menti dans le but de “sauver votre gamin” comme vous l’avez dit aux enquêteurs et aujourd’hui vous n’avez plus de souvenirs, poursuivait le juge Theuret. Soyez franc, quand avez-vous appris la mort de monsieur Segard ?» Le témoin demeurait muet. «Avez-vous quelque chose à dire à votre fils», s’enquérait le président. «Je l’aime», répondait un homme peinant à assumer ses actes manqués.
«Steven est capable de tout»
L’ancienne concubine de Steven Ardinat a livré un témoignage à charge à l’attention de magistrats et jurés. «Je pensais qu’avoir un enfant l’arrangerait, mais il m’a cogné dessus, il m’a vidé mon compte et je suis partie, a souligné la jeune femme. Il avait trouvé du travail, mais il ne bossait pas quand il pleuvait ou alors il ne se levait pas. J’allais travailler à sa place, il s’achetait de beaux vêtements, avec mon argent et la petite mangeait des cailloux. (…) Il buvait, il était alcoolique et bagarreur !I»
La mère du fils de Steven Segard aura fini par se consoler dans les bras de Kévin Bruyère. «Je n’étais plus avec Steven, mais il ne le savait pas, il l’a appris en prison, soulignait la jeune femme. C’est à cause de Steven si mon fils a été placé, heureusement, j’ai pu récupérer sa garde. (…) Je n’emmène pas mon fils au parloir, il est trop jeune, je veux attendre avant de lui expliquer, pour l’instant, mon fils n’a pas à voir son père.» Avocat général, Géraldine Moré coupait court à la diatribe. «Madame, vous n’enlèverez pas une chose à monsieur Ardinat, il est le père de votre fils, ne l’oubliez jamais, votre fils aura toute sa vie besoin d’un père», soulignait la représentante du Ministère public avant d’interroger la jeune femme au sujet de textos envoyés par Kévin Bruyère le lendemain du décès de Cyrille Segard. «Il m’a dit qu’ils avaient fait un truc de “ouf”», indiquait l’ancienne compagne de Steven Ardinat. «Devant les enquêteurs, vous avez accusé Steven, vous avez notamment indiqué qu’il avait donné deux ou trois coups sur la tête de monsieur Segard», poursuivait Me Charlot. «Steven est capable de tout, mais je n’étais pas là, je ne sais pas qui a frappé», répondait la jeune femme.
Examen de la personnalité de Kévin Bruyère
«Né dans un univers de souffrance»
Invité à livrer de précieuses indications sur son parcours, Kévin Bruyère aura réservé ses premiers mots à la famille de Cyrille Segard. «Je tiens à m’excuser», lançait l’accusé avant d’en venir à son enfance. «Je n’ai jamais connu mon père et mon beau-père est mort dans un accident de voiture. (…) J’ai fugué à l’âge de onze ans afin d’être placé dans une famille d’accueil. A seize ans, j’ai pris une mauvaise décision, je voulais plus de libertés et je suis revenu chez ma mère, elle sortait avec un délinquant…»
Magistralement menés par le président Theuret, les débats tournaient autour de l’affection d’une mère au lourd parcours. Né d’un viol – aux dires de plusieurs témoins -, Kévin Bruyère aurait été rejeté. «Cet enfant est né dans un univers de souffrance, il a été placé à l’aide sociale à l’enfance à l’âge de sept mois suite à des suspicions de maltraitance, soulignait une éducatrice. En 2002, il s’est présenté à la circonscription d’action sociale et il a demandé être placé en famille d’accueil. Une telle demande est très rare ! Il a pu évoquer des choses difficiles avec sa mère, il était en quête de certitudes quant à son père et les choses sont devenues de plus en plus difficiles lorsque son père a été condamné pour viol.» Une condamnation étrangère aux faits dénoncés par la mère de Kévin Bruyère.
Le placement en famille d’accueil se sera révélé positif pendant plusieurs années. «Je suis consternée, j’ai accueilli cet enfant de 2002 à 2006, il était gentil, serviable et respectueux, affirmait l’ancienne hôte de Kévin Bruyère. Je ne comprends pas cette décadence. Cet enfant a beaucoup souffert, Kévin m’a raconté avoir été enfermé, il m’a dit que sa mère lui faisait manger son vomis quand il était petit. Cet enfant voulait retrouver son père, il y est parvenu, son père lui a envoyé un courrier, mais il n’y a eu aucune suite. J’ai revu Kévin après son départ de la maison. La dernière fois, il était méconnaissable et ne disait pas un mot. Il ne pouvait pas se projeter dans l’avenir après ce qu’il avait vécu.»
La mère de l’accusé battait en brèches tout absence d’amour maternel. «J’ai été séquestrée par son père, mais je n’ai jamais fait de distinction entre mes trois enfants, il n’aurait jamais voulu revenir si j’étais si mauvaise», soulignait le témoin. «Deux de vos quatre enfants sont en prison, quelle conclusion en tirez-vous», poursuivait Me Charlot. «Ils ont fait de grosses bêtises», répondait la mère de famille, provoquant l’ire de Me Gromek. «Vous parlez de “grosses bêtises”, pouvez-vous nous dire pourquoi votre fils est devant les Assises», martelait l’avocate. «Pour un meurtre, je sais, c’est horrible», répondait le témoin.
Condamné à plusieurs reprises suite à son départ de sa famille d’accueil, Kévin Bruyère aurait pu envisager son avenir sereinement. «De septembre 2006 à juillet 2007, Kévin a participé à des activités d’insertion suite à son retour chez sa mère, indiquait une éducatrice de la Protection judiciaire de la jeunesse. Kévin avait de bonnes capacités en terme d’apprentissage, nous nous orientions vers un CAP dans le domaine de la vente. Il avait repris un bon rythme, pour autant, il se posait beaucoup de questions sur son avenir, il n’avait pas confiance en lui.» Décrit comme «intelligent, très intelligent» par le président Theuret, Kévin Bruyère a repris ses études en détention. Le jeune homme espère prochainement décrocher son baccalauréat.
Examen de la personnalité Mathieu Meunier
Si près du but
Né le 15 mai 1989, Mathieu Meunier se destinait à un avenir des plus communs. «Mon père m’a élevé seul à partir de l’âge de trois ans, j’ai été à l’école du quartier où j’ai connu Kévin et Steven, puis j’ai intégré le collège Diderot et le lycée des Franchises, a indiqué l’accusé. Mon père travaillait beaucoup, j’ai commencé à faire des bêtises et j’ai été placé. (…) J’ai passé le brevet des collèges, un BEP et j’ai travaillé dans une pâtisserie à Bar-le-Duc, mais des promesses n’ont pas été tenues et j’ai dû partir. (…) Je suis revenu à Langres et j’ai intégré l’EPIDe (Etablissement public d’insertion de la défense, Ndlr), puis j’ai voulu de certaines connaissances et j’ai rejoint Belfort. J’ai été viré de ma formation et je me suis retrouvé à Langres.»
L’examen de la personnalité de Mathieu Meunier aura été marquée par le témoignage d’un père meurtri, un ouvrier aux mains d’or circonspect quant à l’utilité du placement de son fils. «J’ai élevé mon garçon tout seul, je lui ai délivré une éducation classique et il avait de bons résultats scolaires. Je ne vois pas en quoi l’avoir élevé seul aurait pu empêcher une bonne éducation», soulignait le témoin, faisant écho aux situations de centaines de milliers de familles monoparentales.
«Vous avez fait ce que vous avez pu monsieur, ce n’est pas votre procès», rappelait le président Theuret. «Certains choses sont faciles à dire, on m’a reproché de ne pas bien m’être occupé de lui, il a été placé, mais ça ne s’est pas mieux passé dans les structures où il a été accueilli. Il est tellement facile de dire qu’on ne sait pas s’occuper de ses enfants, je suis très autoritaire, je ne supporte pas les mauvais comportements, avec moi, il respectait les règles», soulignait le témoin avant de pointer du doigt le laxisme du père de Steven Ardinat. «Cet homme recevait des jeunes chez lui pour des soirées de débauche, j’ai voulu déposer plainte, mais il n’y a eu aucune suite, il y a vraiment de quoi se poser des questions», lançait le témoin.